Guy Gilles   Cinéaste français (1938 - 1996)
Guy Gilles

" Dans tous ses films, qui sont des films d'amour et de tourment, les personnages luttent contre le mal de vivre, la fuite inexorable du temps, veulent faire de l'absolu avec de l'éphémère. Et même s'ils ne racontent pas la vie de Guy Gilles, ils sont autobiographiques; une suite de rencontres, les blessures inguérissables d'une passion récurrente. "

Jacques Siclier

Critiques

Par Claude Michel Cluny

Chacun des films de Guy Gilles, à commencer par son titre, possède un charme. Tous ont les défauts de leurs qualités à des degrés divers. La sensibilité, le sens du temps comme élément fragile, insaisissable, la tendresse aussi portée à certains êtres, voire à certaines heures du jour – ou de la mémoire -, me paraissent les dons les plus vulnérables.
Il convient toujours de se garder de ce qui nous séduit davantage : comme l’élégance (qu’il possède), les qualités des films de Guy Gilles doivent se laisser oublier pour garder leur pouvoir. Ce sortilège joue très bien dans Le Jardin qui bascule, dont la photographie et le découpage créent un climat assez envoûtant pour effacer le prétexte, le suspense policier qu’on oublie volontiers, même si son amorce – le meurtre d’un cafetier un soir de 14 juillet – est filmée avec une aisance calculée, sans insistance, efficace, qui laisse apparaître, au gré d’un certain nombre de reflets, un film possible – qui ne se fera pas, qui va se développer différemment, métamorphose du récit qu’on croirait née du plus profond, du plus vrai des personnages – ce qui reste peut-être et très simplement la vérité. Et le film bascule, très tôt, vers quelque chose de plus émouvant et de plus intéressant, au fond, qu’une histoire de tueur à gages, qui risquait de surcroît de ne pas être très convaincante.
Mais c’est à partir de l’arrivée de Patrick Jouané et de Philippe Chemin chez Delphine Seyrig que le climat créé par Guy Gilles opère : ils doivent tuer cette femme ; or, tout alors se déplace, comme un panneau dévoilant l’autre réalité, celle qui va nous retenir, celle qui va être vécue… Une sorte d’indéfinissable bonheur de voir va faire de chaque plan comme un souvenir : de grandes vacances, de rêve, de fable, de blessure comme seule l’adolescence peut en recevoir ; et l’art aussi de voir ceux qui sont autour de soi – ces comédiens qui habitent le film et ne jouent pas. Des rapports ténus vont lier les deux garçons à leurs « hôtes », puisqu’ils se sont fait inviter ; et ces rapports vont se renforcer de tout ce qui n’est pas dit (la littérature, cette ennemie à congédier !), de chaque moment qui passe.
La présence, au cœur de ce film en nuances, impressionniste, extrêmement pudique dans sa tendresse comme dans son tragique, de grands comédiens et de jeunes acteurs exigeait une mise en scène sans effets ; la mise en scène de Gilles est celle des heures et des visages. Delphine Seyrig est remarquable, que l’amour ne délivre pas de ses draps, comme sur une affiche de Mucha, ni d’une solitude dont la jeunesse ne connaît que la part insupportable (d’où les beaux plans de Philippe Chemin, ou du jeune Ludovic Lutard). La logique du désespoir veut deux meurtres pour un. Et la tendresse de Guy Gilles pour ses héros nous vaut un film doux-amer comme une éducation sentimentale.

Cinéma 75 (numéro 199)