Guy Gilles   Cinéaste français (1938 - 1996)
Guy Gilles

" Dans tous ses films, qui sont des films d'amour et de tourment, les personnages luttent contre le mal de vivre, la fuite inexorable du temps, veulent faire de l'absolu avec de l'éphémère. Et même s'ils ne racontent pas la vie de Guy Gilles, ils sont autobiographiques; une suite de rencontres, les blessures inguérissables d'une passion récurrente. "

Jacques Siclier

Critiques

L'enfer endimanché de Genet

Par Jean-Pierre Tison

A soixante-cinq ans, Genet fait son entrée à la télévision. Pas en personne, car jusqu'au bout il restera caché, mais en paroles. Ces paroles, extraites de ses premiers romans, le cinéaste Guy Gilles a tenté de les illustrer. Ambitieuse tentation qui risque de ne pas plaire à certains " genetiens ". Mais si Hélène Martin lui a entièrement confié la réalisation de ce Plain-Chant, c'est parce qu'elle savait qu'il présenterait le poète comme on présente un ami secret : avec un tact convaincant.

D'un raffinement extrême, cette illustration a pris le parti de nous montrer l'univers de Genet après sa métamorphose par l'écriture. Prisons, mansardes, brasseries, trottoirs, toute la topographie sordide où se repèrent voyous, traîtres et assassins, est déjà " retouchée " par la poésie. Et au lieu des tristes sires qui attendent le bourgeois noctambule, nous ne rencontrons que de tragiques majestés. " Je mets tantôt haillons, tantôt manteau de cour sur les épaules de Divine ", dit Genet. Guy Gilles a dissimulé les haillons sous le manteau, mais on devine les déchirures et, pour incarner le travesti Divine, il a choisi une femme : Brigitte Ariel. Patrick Jouané incarne Mignon, son mac.
Evidemment, tout ce qu'il y a de troublant, d'équivoque dans le ménage Divine-Mignon, tel que l'a voulu Genet, disparaît dans cette interprétation. Et c'est encore une femme - Jeanne Moreau - qui prête sa voix au narrateur.

Gilles se contente de décaler les réalités que Genet a complètement fait basculer. On le jugera timide. On lui reprochera peut-être d'avoir endimanché le poète. Les jolies salopettes des acteurs, les mines fraîches des petites frappes ont, en effet, un petit côté " Belle Jardinière ". Il s'agit en vérité d'une savante opération. Ce n'est plus une seule personne qui peut se prendre pour la « toute froufrouteuse » mais toute une humanité déchue. Et puis, les vraies visions de Genet ne sont pas montrables. Elles sont volontairement trop violentes, trop sinistres, trop abjectes pour être représentées par l'image.

Il y a vingt ans, on avait interdit à Cocteau de prononcer le nom de Genet dans son discours de réception sous la Coupole. L'auteur de Pompes funèbres n'est plus innommable mais son œuvre reste isolée. Aucun de ses livres n'est publié en édition de poche. A tous ceux qui n'y ont pas encore pensé, cette émission donnera peut-être l'idée de partir à la rencontre de ce grand solitaire.

Hommage soit rendu à la délicate témérité de Guy Gilles.

 

Jean-Pierre Tison, LE FIGARO - LUNDI 7 JUILLET 1975. D.R.