" Il faut apprendre à renoncer.
Mais, j’ai compris, vivre ce n’est pas se souvenir d’une ville, d’un instant, d’un visage, même si c’étaient les plus beaux du monde.
Pour continuer, il faut apprendre à oublier. "
Soleil Eteint
Les débuts
Guy
Chiche naît à Alger, le 25 août 1938.
Alger, l'Algérie, la terre natale, le pays de l’enfance et de tous
les souvenirs. C'est le point de départ, la source et l’eau vive
de l’inspiration.
Le père est fonctionnaire à la Banque de l’Algérie,
où il occupe un poste important dans la comptabilité.
La mère s’occupe du foyer - un petit frère, Luc-Bernard,
est né en 1947.
Elle meurt prématurément, alors que Guy effectue son service militaire.
Ce décès va avoir sur le moment une répercussion très
concrète sur la vie professionnelle du jeune homme : la mère
étant partiellement propriétaire d'un petit immeuble algérois,
la vente de celui-ci et l’argent de la succession vont apporter de quoi
financer un premier film, Soleil éteint.
Guy choisit alors son pseudonyme, en partant du prénom de sa mère,
Gilette. Ce n’est pas anodin : étudiante en peinture, elle
garda toute sa vie la nostalgie d’une vocation dont l’accomplissement
s’arrêta net avec son mariage. Guy Chiche devient Guy Gilles :
la mère est morte mais son nom restera, et c’est en le portant
que son fils se lance dans le cinéma.
Soleil éteint n’est pas terminé
que déjà Guy entame le suivant, Au biseau
des baisers. Les études aux Beaux-Arts, les reportages (souvent
ciné) pour les journaux locaux sont derrière lui : en 1960,
à vingt-deux ans, c’est le départ définitif pour
Paris. De tous ses films, ces deux courts-métrages seront, au bout du
compte, les seuls tournés en Algérie…
Pour financer leur achèvement, Guy Gilles sollicite un rendez-vous avec
Pierre Braunberger, et obtient de celui-ci qu’il finisse les deux films,
en coproduction. Mais Braunberger va plus loin. Il propose au jeune cinéaste
de produire ses courts-métrages suivants (Paris
un jour d'hiver et Chanson de gestes),
et le présente à François Reichenbach dont Guy deviendra
d’abord l’assistant
- La douceur du village en 1964.
Braunberger organise ses projections dans une salle des Champs Elysées
située juste en face de ses bureaux, et les courts-métrages de
Guy y sont projetés à l’intention des distributeurs. Alors
que Braunberger hésite à se lancer dans la production du premier
long métrage de Guy (il a peur d’un côté outrageusement
poétique), celui-ci se tourne vers le directeur de la salle, qui a vu
et apprécié ses films, pour produire L'amour
à la mer. L’homme n’est ni producteur ni distributeur :
il doit fonder une société de production tout spécialement
; il accepte toutefois de produire un court-métrage. Mais avec cette
somme, Guy entame ce qu’il sait au fond être un long-métrage
- même si la forme qu'il prend est apparemment celle d'une succession
de courts. De fil en aiguille, devant la ténacité et l’endurance
du cinéaste (pas moins de trois ans pour finir le film), mise devant
le fait accompli, la production accepte de finir le film... qui ne trouvera
pas de distributeur.
Le film sort néanmoins en salles en Belgique et en Suisse (il sera même
primé à Locarno).
1964 - 1970 : L'âge d'or
Guy Gilles est déjà, à ce moment, considéré comme un poète de l’image, très marginal par rapport au milieu du cinéma. Son jeune âge, son enthousiasme, son style très affirmé (trop pour certains) jouent parfois contre lui. Pendant tout ce temps, il loge gratuitement chez un ami, rue Marcadet, avant de s'installer (tout aussi gratuitement) quai Malaquais dans une chambre de bonne appartenant à George Beaume, agent d'Alain Delon et homme d’influence. Pour gagner sa vie et continuer à tourner malgré tout, il reste au jeune homme la ressource des courts-métrages, tournés pour le cinéma ou pour la télévision.
Pour cela, Guy a fédéré autour de lui une petite équipe de fidèles, avec laquelle il travaille régulièrement. Une équipe qu’il a créée de toutes pièces : il a entraîné son cousin et vieux complice de l’enfance algéroise, Jean-Pierre Stora, dans la composition de musiques de films, alors que celui-ci (par ailleurs avocat en regard de contingences familiales) pensait ne pouvoir destiner ses compositions qu’à la chanson de variétés. Quant à Jean-Pierre Desfosse, il le rencontre dans un café : le jeune homme est passionné de cinéma, Guy le forme entièrement au montage et le propulse monteur attitré de tous ses films. Desfosse ne travaillera qu’occasionnellement ailleurs : seule sa mort empêchera leur collaboration de se poursuivre. À l’image, c’est Jean-Marc Ripert qui sera le fidèle complice : c’est le seul de tous à exercer la même activité professionnelle ailleurs, le reste du temps.
Mais la rencontre la plus importante dans la vie et dans l’œuvre de Guy reste Patrick Jouané, croisé peu auparavant durant le tournage de L’amour à la mer - et aussitôt enrôlé pour une petite scène ! Le garçon est tout d’abord assez réticent à l’idée de faire l’acteur : il se plie aux désirs de son réalisateur par complaisance, par envie de faire plaisir, plutôt que par goût professionnel ou par motivation personnelle. Pourtant, l’alchimie prend instantanément à l’écran, et la symbiose entre le cinéaste et son interprète perdurera tout au long de l'œuvre de Guy, et jusque dans leurs plus furtives collaborations. Que ce soit en fiction ou documentaire, faux-figurant (Côté cour côté champs), à l’occasion d'un petit rôle (Saint poète et martyr), d'une voix off (Le Jardin des Tuileries), d'un court-métrage (Ciné bijou, Le Partant), simple silhouette au détour d’un plan (Le cirque des Muchachos), ou encore double du réalisateur (Proust, Absences répétées), et bien sûr dans l’éclat des grandes incarnations romanesques (Au pan coupé, Le Clair de Terre, Le jardin qui bascule, Nuit docile), Patrick Jouané va littéralement habiter, hanter, inspirer toute l’œuvre de Guy Gilles.
Guy continue à faire ses gammes en tournant des sujets de reportage
qui s’enchaînent à un bon rythme. De ce point de vue, l’époque
est florissante : les salles de cinéma projettent encore des avant-programmes
de courts, et certaines émissions de télévision se distinguent
par leur volonté de qualité et de liberté créatrice
(en particulier "Dim Dam Dom", pour lequel Guy travaillera de temps
à autre). Et puis Guy a trouvé en Roger Stéphane –
et son émission "Pour le plaisir" – un producteur qui
lui voue une admiration et une confiance totales. C’est dans cet esprit
de liberté qu’il réalise une série de « ciné-reportages
» dont Ciné bijou reste le plus
emblématique. Guy se sert de la commande pour réaliser un film
tout entier dédié à l’évocation d’un
univers mélancolique, habité des fantômes d’anciennes
vedettes et des visages de jeunes garçons. Ce dernier détail n’échappe
pas à tout le monde : une vieille coupure de presse sur Pop
Age donne un aperçu de l’inconscience et de la liberté
avec lesquelles il pouvait travailler :
« Je ne voudrais pas être méchant pour Roger Stéphane
et Roland Darbois mais vraiment, à qui font-ils un clin d’œil
lorsqu’ils laissent passer dans leur émission une rubrique comme
Pop Age ? A quels initiés capables de lire entre les images ? (…)
La plus jolie fille est vue par un regard misogyne. Le moindre éphèbe
inexpressif est mis en valeur comme une statue grecque. Les braves gens n’y
voient que du feu, et il est vrai qu’à cette heure-là ils
sont couchés »… Toute une époque !
Fort de ces expériences et du soutien continu de Roger Stéphane, Guy Gilles va bâtir, parallèlement à ses fictions, une véritable œuvre documentaire : le premier jalon en est Festivals 1966 Cinémas 1967 (1967), une enquête-vagabondage autour des festivals d'Hyères et Cannes et d'une certaine idée du cinéma; le deuxième plus élaboré, Vie Retrouvée (1969), annoncera l'apothéose du film sur Proust.
1967, donc. Guy est à présent fin prêt pour se lancer dans le tournage
d’un nouveau long-métrage : l’aventure va être
rendue possible par Macha Méril, qui aime tellement le rôle et
le film que Guy lui a proposés, qu’elle fonde sa propre société
de production, Machafilms, pour en trouver le financement. Ce sera Au
pan coupé, le premier grand film du cinéaste, le véritable
acte de naissance d’un cinéma, d’une forme, d'une œuvre
épanouie, aboutie dans son langage et dans ses thèmes. Cette réussite
n'est pas indifférente au fait que le rôle principal est tenu par
Patrick Jouané : diction bressonnienne, regard habité, le
jeune garçon s’est lui aussi transformé, et il assume avec
une aura véritable la charge de son rôle. La sortie en salles du film est accueillie par de nombreux éloges, dont ceux de Marguerite Duras :
"Le Pan coupé de Guy Gilles est le film d'un amour. L'amour a été interrompu par le départ, la mort. Il est vécu à partir du déchiffrage obsessionnel du passé. Ce passé a été bref, il est maintenant opaque et inépuisable comme un crime. Ici, enfin, l'amour n'est pas montré à partir de l'étreinte-dans-le-lit-d'hôtel. Son évocation par le visage - visage d'une femme cinquante fois répété, à une ombre près, un regard, un crispement sous le harcèlement de la blessure - est tout simplement admirable. Non, cela n'avait jamais encore été fait au cinéma."
Le public ne se précipite pas pour autant (4000 entrées seulement), mais Guy Gilles pense que les gens comprendront son cinéma un jour
ou un autre, et ses certitudes n’en sortent guère ébranlées.
Grand bien lui fasse : son film suivant, Le Clair
de Terre reste le plus connu, et pour beaucoup, le plus beau.
Entre-temps il y a Le partant, que Guy a proposé
à "Dim Dam Dom". Court-métrage lunaire, rêveur
et mutique, portant à la perfection la méthode et les thèmes
du réalisateur, le film est bien plus qu’un magnifique brouillon
du Clair de Terre. C’est à son occasion
que Jean-Pierre Stora trouve la ligne mélodique qui sera reprise
dans la partition du long-métrage.
La mise en œuvre du Clair de Terre n’est
pas de tout repos - on se reportera avec intérêt au journal de
tournage qu’a tenu son frère, Luc Bernard (disponible à
la Bifi). Guy Gilles veut absolument retourner en Algérie, aux deux sens
du terme : y revenir pour y filmer à nouveau. Mais les autorisations
traînent, et las d’attendre, Guy décide de se reporter sur
la Tunisie, et sur un nouveau casting : un an a passé, et Simone
Signoret, qui avait accepté le rôle féminin principal, est
prise par d’autres obligations. Guy se tourne alors vers Michèle
Morgan : c’est la bonne piste. Car si celle-ci refuse le rôle,
c’est qu’elle sait à qui il convient de le proposer :
c’est elle qui donne l’idée d’Edwige Feuillère,
interprète idéale, inoubliable, de cette institutrice retraitée
et nostalgique auprès de qui le héros retrouve une part de cette
mère enfouie sous la terre de l’enfance. Le reste de la distribution
est de la même eau : participations magiques d’Elina Labourdette
et Micheline Presle, retrouvailles bouleversantes avec Annie Girardot, apparition
spectrale de Roger Hanin en père déboussolé… Un véritable
état de grâce plane sur tout le film, qui remporte le grand prix
au festival d’Hyères.
Certaines critiques sont excellentes. Jean-Louis Bory, qui avait déjà
alerté l’opinion à la sortie d’Au
Pan Coupé, écrit un texte dithyrambique, un des plus beaux à ce jour sur l’univers de Guy Gilles.
Mais à nouveau, le succès public est plus que mitigé.
Nous sommes en 1971, Guy Gilles
a alors 33 ans, il est au sommet de son talent et de sa créativité. La télévision diffuse son Proust l'art et la douleur, qu'il a tourné pendant trois ans. La fréquentation continue de l'œuvre de Proust alimente tous ses films de la période, source inépuisable de motifs (phrases, paysages, références) davantage que réel équivalent littéraire - s'ils ont tous les deux la hantise du temps qui passe et le goût stylistique du détail, l'écrivain est plus froid, son penchant pour les méandres et l'analyse infinie ne cadrent guère avec la contemplation adolescente et l'urgence romantique du cinéaste. "La longue phrase proustienne qui décrit avec des circonvolutions,
disait Guy Gilles, se retrouve dans mes films dans " la séquence ", avec
ces détails qui incisent le plan, qui l'affirment, le précisent. Et puis
les changements d'angle, la façon de montrer un personnage sous des éclairages différents, de lui ajouter des couleurs, cela me semble
proustien. Le reste c'est la lecture des journalistes". Mais la rencontre des deux univers sert l'un et l'autre à merveille : Guy Gilles a su trouver la place idéale entre traduction et appropriation. Le visage changeant de Patrick Jouané au cours des trois années de tournage y est l'incarnation littérale, physique, du temps qui passe, de la jeunesse perdue.
La même année, Lelouch fait appel au cinéaste - il l’a connu via Reichenbach- pour réaliser
un court-métrage sur les Champs-Élysées, devant être
montré avant Le Voyou, lequel sort…
seulement un mois après ! Ce sera Côté
cour côté champs, une commande de dernière minute, un pur
poème de sons et d’images, d’impressions, de collages, de
couleurs, associés avec un sens inimitable de la rime et de la variation.
Devant l’urgence, la musique est, exceptionnellement, composée
et enregistrée avant le montage du film, qui se fait en fonction de la
partition, renforçant cette impression de synchronisme total de tous
les éléments, cette harmonie, qui font de ces treize minutes un
bonheur qui ne se renouvellera plus.
Le tournant des années 70
Car une nouvelle décennie commence : elle va être marquée
par une lourde série de déboires. En réalisant pour la
télévision Jeanne raconte Jeanne,
une émission sur Jeanne Moreau, Guy est tombé éperdument
amoureux de la jeune femme… Un an et demi après, la fin de leur
relation se solde par une tentative de suicide du cinéaste.
Et c’est par un suicide (et même par deux) que se clôt son
film suivant, Absences répétées (prix Jean Vigo 1973). L’écriture cinématographique a la
même grâce, les mêmes jeux, mais le ton est d’une noirceur,
d’une désespérance jamais vues encore dans l’œuvre
de Guy. En plus, la production a été longue à convaincre,
le montage financier a encore réclamé des trésors de patience
et d’énergie - c’est Danièle Delorme qui permet finalement
de décrocher l’accord de Gaumont.
Guy choisit pour principal interprète un acteur inexpérimenté,
Patrick Penn, musicien et chanteur venu de la scène rock. Le film, qui
est un des premiers à mettre en scène avec une telle frontalité
un certain milieu homosexuel, se ressent des questionnements qui agitent à
l’époque le cinéaste. Il y reviendra, des années
plus tard, dans un entretien pour la revue Masques : « Mon héros
n’est pas ambigu sexuellement, il est sexuel. Je sais que l’on m’accuse
quand je dis cela d’intellectualiser. Mais est-ce qu’on peut dire
de quelqu’un qui touche à toutes les sexualités qu’il
est ambigu ? Si oui, alors oui. Mais je réponds comme cela parce que
je ne veux pas tomber dans le système des terminologies, bisexualité,
etc... Il touche à tout, très clairement ».
C’est sans fard, également, que le film traite de la toxicomanie :
c’est une autre époque, l’insouciance des années soixante
a disparu, Guy a assisté à la descente aux enfers de certains
de ses proches, toxicomanes, et il veut aussi faire ce film pour témoigner.
Les paroles de la chanson du film (écrites et chantées par Jeanne
Moreau sur une partition de Stora) sont à elles seules tout un programme :
« Plages désertes, membres inertes / dégoût de
vivre, paupières mouillées / J’écoute ton cœur
effrayé… / Le temps perdu, le temps gagné / les angoisses,
les pleurs séchés / rêves brisés, plaisirs cachés… ».
Grâce à la télévision, Guy Gilles continue à travailler : Le temps qui passe, diffusé dans le cadre d’une série de Daisy de Galard, "Cinéastes témoins de leur temps", sur le problème du vieillissement, Monsieur Ravel, un 26 minutes de la série "Il était une fois un musicien". Puis un nouveau long-métrage, Le jardin qui bascule, qui nécessite plusieurs assemblages de production et se fait finalement avec un budget minuscule (mais avec Delphine Seyrig dans le rôle principal). Les projets s’enchaînent selon ce mode : les films de cinéma se font au prix de luttes acharnées sans remporter aucun succès, mais c’est pour eux, parce qu’il les a réalisés, qu’on propose à Guy de travailler pour la télévision. C’est avec cette économie et ce tiraillement perpétuel qu’il doit composer : depuis toujours, mais plus que jamais.
Parfois c’est lui-même qui propose ses sujets. Ainsi de La loterie de la vie : parti tourner au Mexique un film de François Reichenbach (comme assistant), il décide, après sa rencontre avec la jeune Lupe, de tourner le film avec le matériel que Reichenbach lui prête. Produit par l’INA pour la télévision, le film sera distribué en salles en octobre 1982.
En 1975, Hélène Martin lui propose de réaliser un film autour de Jean Genet, pour son émission "Plain Chant". Ce sera Saint, poète et martyr, ballade personnelle dans l’œuvre de l’écrivain, incarnée par les fidèles du cinéaste : Jouané, Chemin, Moreau. En janvier 1978, le film est programmé par Lionel Soukaz dans le cadre du festival "Ecrans roses et nuit bleue", qui se tient à la Pagode. C’est l’une des premières manifestations du genre : elle propose des œuvres de Paul Vecchiali, Dominique Delouche, Michel Nedjar ou Chantal Ackerman et rassemble un public nombreux, jusqu’à son interruption forcée : un groupuscule fasciste tabasse le public au cours d’une projection (Guy s’en tire avec un traumatisme crânien et deux mois d’hôpital).
Les années 80 et après
1980 : le temps passe, et, enfin, au mois de mars, le tournage d’un nouveau long-métrage : une comédie. Ce sera La tête à ça, un ton neuf, mais aussi Micheline Presle, Richard Berry, Jacques Penot, et Carole Laure en guise de distribution. Au bout de quelques jours de tournage, c’est la catastrophe : miné par une violente rupture amoureuse, à laquelle viennent s’ajouter certains différents avec les producteurs du film, Guy fait une dépression nerveuse et se fait hospitaliser. Le tournage est annulé.Un an après, il réussit à reformer le duo Richard Berry et Jacques Penot pour Le crime d’amour, produit par Macha Méril (comme Au pan coupé treize ans plus tôt) qui y tient un double rôle.
1984 : Guy tourne l’adaptation télévisée du roman de Pascal Sevran, Un garçon de France, pour FR3. Le film est un résumé assez exhaustif des thèmes brassés par le cinéaste depuis toujours : la quête de la mère perdue, l’évocation de l’Algérie (l’action se déroule en 59-60, pendant la guerre), la nostalgie du cinéma de l’enfance et des vedettes des années 40, et surtout la prise en charge d’un adolescent par une femme mûre, dont l’assomption en icône (ici Françoise Arnoul en Ava Gardner) sera le moyen d’une sexualité débutante.
Il faudra attendre 1987 pour que Guy Gilles réalise un film à nouveau pour le cinéma, Nuit docile, son dernier à être distribué en salles– dans une indifférence générale et sous un feu de critiques épouvantables. Patrick Jouané retrouve le rôle principal, mais le temps a passé, et c’est à nouveau à Pascal Kelaf, à peine sorti du Garçon de France, qu’il revient d’incarner le jeune héros « gillien » que Jouané a immortalisé deux décennies auparavant. Une scène du film est particulièrement émouvante : Jouané montre à Pascal Kelaf un extrait à la télévision de Ciné Bijou. Les images du garçon qu’il était (il avait 21 ans à l’époque) se heurtent à son visage plus mûr, plus fatigué. Kelaf demande : « C’est qui ? ». « C’est moi », répond Jouané, avant de se tourner vers un troisième comparse, qui joue le rôle du réalisateur : « Est-ce que tu regrettes de m’avoir filmé ? / Non, je n’aurais pas fait le film si je ne t’avais pas rencontré. On ne filme que ce que l’on aime. / Voleur d’image ! ». Le ton du film est lugubre, la fin est sans espoir.
Les activités télévisuelles de Guy continuent, et lui permettent de vivre - multiples reportages : les couturiers de Michael Jackson, Stallone et sa collection d’œuvres d'art (1988), etc... Mais s’il fallait ne retenir qu’un film (court) de cette décennie, ce serait peut-être Où sont-elle donc ?, un reportage réalisé en 1983 pour l’émission "Cinémas Cinémas" (pour laquelle Guy Gilles a par ailleurs tourné Viviane Romance, portrait d’une rebelle) qui évoque les stars françaises des années 30 à 50, et constitue un pendant nostalgique à Ciné Bijou. Car ce n’est plus seulement à travers photos et affiches que se promène le souvenir : les stars aimées sont toujours là, vieillies mais vivantes et parfois toujours belles. L’apparition de Madeleine Sologne est en ce sens un moment rare, qui condense à lui seul bien des thèmes du cinéaste.
C'est la fin des années 80, le cinéaste a atteint la cinquantaine, le monde a changé,
lui aussi. La maladie s’est déclarée, Guy Gilles est atteint du sida.
En 1992, pour les trente ans d’indépendance de l’Algérie,
Jean-Pierre Stora propose à AB Productions un disque évoquant
l’Algérie. AB préfère un film : Jean-Pierre
appelle illico Guy, qui se met au travail. Le film, Dis
papa, raconte-moi là-bas, restera réservé exclusivement
au marché vidéo, mais il bénéficie de la présence
de Richard Berry, et il sera projeté en vedette au festival du film algérianiste
de Nîmes.
Une opération cardiaque complique encore l’évolution de la maladie. Guy se sait condamné : il veut absolument parvenir à terminer son nouveau long-métrage, Néfertiti, vaste imbroglio financier, coproduction franco-italo-lettone, qui tourne au désastre. La Lettonie fournit costumes, décors et studios, l’Italie apporte un peu d’argent et impose l’actrice principale, tandis que le producteur français, Benjamin Simon, qui espérait des rentrées d’argent de ses précédentes productions, doit faire face à l’échec cinglant de La femme fardée, et se retrouve dans l’impossibilité d’aligner sa part de coproduction. Les tensions gangrènent le tournage, Cineccita séquestre plusieurs bobines déjà tournées.
En attendant, Guy réalise une commande des ministères de l’éducation
nationale et de la santé, destinée à attirer l’attention
des jeunes sur les dangers de la drogue. Il s’agit de La
lettre de Jean : le film voyagera en circuit fermé dans les
lycées, collèges et écoles communales. Les contraintes
du film pédagogique empêchent toute écriture cinématographique,
mais ça et là le cinéaste réussit à glisser
quelques beaux portraits d’adolescents, comme à ses débuts,
« en contrebande » : une chambre de jeune homme, des voix chuchotées,
la vivacité des plans de coupe, rappellent des films anciens, des constantes
jamais désavouées.
Mais l’affaire Néfertiti n’avance
pas : la mort dans l’âme, Guy Gilles se résout à
monter son film sans les bobines bloquées par Cinecitta. Le film fera
70 minutes au lieu des 100 prévues, le doublage est bâclé,
et il faut toute l’opiniâtreté du cinéaste pour imposer
son musicien (Stora) et avoir le final cut – c’est là, dans
les coupes, les rythmes, les sautes visuelles, sous les ciseaux du montage,
que Guy parvient à sauver ce qui peut l’être de son dernier
long-métrage. Le film ne sera jamais distribué et devra se contenter
d’une diffusion réglementaire (et inaperçue) sur Canal +
en janvier 96.
Guy Gilles s’éteint le 3 février 1996, des suites du sida, à cinquante-sept
ans.
La presse est quasiment muette – sauf une page dans les « Cahiers
du Cinéma », signée Jean-Claude Guiguet. Au mois de juillet,
Jean-Jacques Zilbermann, à l’époque gérant du Max
Linder, rend un hommage d’une journée aux films de Guy. Trois ans
après, son frère Luc Bernard lui consacre un documentaire : Lettre à mon frère Guy Gilles, cinéaste
trop tôt disparu.
Aujourd’hui, le Forum des Images à Paris organise de temps à
autre des séances de ses films, qui sont presque tous disponibles dans
la salle de consultation. Les chaînes
câblées lui consacrent parfois un programme : en 2002, Festival a
diffusé Néfertiti et Le
crime d’amour, Ciné Classic le Genet Saint poète et martyr, CinéCinéma Auteur L’amour
à la mer et Le Clair de Terre.
En juin 2003, la rétrospective de ses films de fiction au 31ème festival international du film de La Rochelle fait salle comble. Le succès est tel que le festival organise l'année suivante une exposition souvenir. En août 2004 et 2005, les états généraux du documentaire de Lussas programment à leur tour ses films documentaires. En avril 2005, la quasi intégralité de ses courts-métrages sera présentée au festival Côté Court de Pantin, accompagnée d'un dossier spécial dans la revue Vertigo (n°27, mars 2005).
La sortie en DVD des trois premiers longs-métrages du cinéaste, L'amour à la mer, Au Pan Coupé et Le Clair de Terre est assurée par les Editions Montparnasse en mai 2008.
Premier tournage
L'amour à la mer
Le partant
Au pan coupé
Le clair de terre
Absence répétées
La lotterie de la vie
Un garçon de France
Guy Gilles