Guy Gilles   Cinéaste français (1938 - 1996)
Guy Gilles

" Il faut apprendre à renoncer.
Mais, j’ai compris, vivre ce n’est pas se souvenir d’une ville, d’un instant, d’un visage, même si c’étaient les plus beaux du monde.
Pour continuer, il faut apprendre à oublier. "

 

Soleil Eteint

Quelques critiques parues à l'occasion de la diffusion du film de Luc Bernard, "Lettre à mon frère Guy Gilles, cinéaste trop tot disparu" (1999)

 

LIBÉRATION : L'hommage mérité d'un journaliste à un cinéaste disparu.
Par Gérard Lefort

Le frère secret

Guy Gilles est mort le 3 mars 1996. Double disparition. Celle d'un homme encore jeune (56 ans, né à Alger en 1940), celle d'un cinéaste qui, de 1958 (Soleil éteint) à 1992 (Néfertiti), eut dix-huit films, courts ou longs, à son actif. Un courrier cinématographique, adressé par son frère Luc Bernard et très logiquement intitulé Lettre à mon frère Guy Gilles, cinéaste trop tôt disparu, permet de lui rendre la grâce qu'il mérite. Guy Gilles, notamment dans ses films les plus «célèbres» (Absences répétées, 1971; Le jardin qui bascule, 1974), avait en effet une manière singulière de faire son cinéma. Une manière intimiste mais pas privée pour autant, une façon bricoleuse et fauchée mais pas amateur pour un rond. Autant de qualités rares pour un profit maximal. La grande affaire des films de Guy Gilles, c'est le secret : secret d'amour, secret d'enfance, secret de polichinelle parfois, mais dans tous ces cas sans le sentimentalisme afférant. Car le secret derrière ses filins le demeurait toujours. Par exemple: Delphine Seyrig dansant dans Le jardin qui bascule. On peut en déduire une palanquée de signification et tout autant de symboles (la jeune femme et la mort?). Mais ce qui reste, c'est l'impression d'une fée traçant son cercle magique, comme la fée des Lilas dans Peau d'âne de Demy (dont Guy Gilles fut un temps l'assistant). Autant dire une clairière dans la tourmente du monde, la zone enchantée des enfants secrets. Guy Gilles savait filmer ce bonheur-là.

Libération, octobre 2001


ADEN : Lettre à mon frère, de Luc Bernard
 24-30 octobre 2001

Adolescent en Algérie pendant les derniers feux de la colonisation française, Guy Gilles est resté un amoureux de ces paysages de sable et de soleil. Il y avait déjà commencé une précoce carrière artistique en peignant, photographiant et filmant des visages et des scènes empreintes (déjà) d'une certaine mélancolie et portées par une lancinante douleur. Celle de sa mère, trop tôt disparue? A Paris, Guy Gilles séduit des acteurs, des producteurs... Il arrive tant bien que mal à faire exister un long métrage au titre symbolique, L'Amour à la mer, en bricolant ses premiers courts et en y rajoutant notamment quelques plans furtifs de vedettes amies, tels Alan Delon et Juliette Gréco. Suivra une œuvre cahotique, difficile, restée confidentielle, mais d'une beauté souvent poignante, à rapprocher du travail poétique d'un Philippe Garrel ou du jeune Carax. A chaque nouveau film, ce sont les femmes qui éclairent des récits où affleure l'homosexualité secrète du réalisateur: Macha Méril (Au pan coupé), Annie Girardot et Edwige Feuillère (Le Clair de terre), Danièle Delorme et Nathalie Delon (Absences répétées), Delphine Seyrig (Le Jardin qui bascule) jusqu'à Claire Nebout (Nuit docile). Et dans pratiquement tous ces films, le même visage frondeur d'un inconnu, Patrick Jouané, alter ego du cinéaste. Comme sa mère, Guy Gilles a trop tôt disparu. Et c'est son frère qui aujourd'hui s'interroge sur ce vide immense qu'il a laissé, chez ses proches comme chez les spectateurs fanatiques de son oeuvre. Luc Bemard est parti la rencontre des derniers témoins. Sa caméra vidéo s'accroche aux photos comme aux souvenirs, puis sollicite, entre deux extraits de filins, la mémoire de ceux qui ont travaillé avec lui. Le témoin le plus émouvant est sûrement Patrick Jouané, disparu lui aussi aujourd'hui. Il jette sur ses années de complicité avec e cinéaste un regard dénué de nostalgie. Avec ce portrait en forme d'hommage, Luc Bernard réussit à faire revivre un artiste, et un frère, à la lumière de ses passions comme de ses ambiguïtés. Documentaire vidéo (Français. 1999)

 


TÉLÉRAMA : Connaissez-vous Guy Gilles ?

Qui se souvient de ce cinéaste qui dirigea Delon, Gréco, Jeanne Moreau ou Jean-Pierre Léaud ? Séance de rattrapage ce soir sur Cinecinema Auteur.

On lui trouvait parfois des airs de Delon. Il l’avait d’ailleurs dirigé dans L’amour à la mer (1963) son premier film. Il avait 25 ans. Juliette Gréco se souvient de sa volonté douce et ferme, de faire du cinéma. « C’est rare de filmer aussi bien les acteurs », ajoute Jean-Claude Brialy, qui faisait aussi partie de l’aventure, comme Jean-Pierre Léaud et Romy Schneider. Macha Méril, qui tourna avec lui quelques années plus tard, lui trouve un regard aussi moderne que celui de Godard, et un cœur bien plus grand. Micheline Presle n’a pas oublié qu’elle le fascinait parce qu’elle ressemblait à sa mère. Devant sa caméra, Jeanne Moreau est rayonnante, Annie Girardot étonne, et Delphine Seyrig est plus envoûtante que jamais, comme Edwige Feuillère.
Mais lui ? Depuis sa mort, en 1996, son nom s’est effacé : qui se souvient de Guy Gilles ? Son frère cadet lui a consacré un documentaire pour comprendre ce destin qu’on ne peut s’empêcher de trouver assez triste, comme les rendez-vous manqués : tant de belles choses et finalement si peu d’échos. Ce sont les risques du métier, les incertitudes de la vie d’artiste et, à la grande loterie de la célébrité, on devine que Guy Gilles s’est montré beau joueur. Peut-être même un peu trop prêt à laisser passer son tour, comme s’il était d’une autre époque. Celle de Proust, affirment certains. « Il me faisait penser à Visconti », dit Roger Hanin, un des interprètes du Clair de terre (1970). Par-delà les films, qui restent à (re)découvrir, se détache le mystère d’un éternel jeune homme, né à Alger, où son copain de lycée s’appelait Guy Bedos, et amoureux de la beauté, qu’il savait reconnaître partout mais surtout dans ce mot-là : cinéma.

Frédéric Strauss