Guy Gilles   Cinéaste français (1938 - 1996)
Guy Gilles

" Il faut apprendre à renoncer.
Mais, j’ai compris, vivre ce n’est pas se souvenir d’une ville, d’un instant, d’un visage, même si c’étaient les plus beaux du monde.
Pour continuer, il faut apprendre à oublier. "

 

Soleil Eteint

Les interprètes

Françoise Arnoul dans "Un garçon de France"

L'oeuvre de Guy Gilles est riche en rôles féminins : on rencontrera au gré des films Orane Demazis (la Fanny de Pagnol) en tenancière de café dans Au pan coupé, Françoise Arnoul dans Un garçon de France et Nuit docile, Marthe Villalonga en accueillante maîtresse de maison dans Le Clair de terre et dans le même film Annie Girardot, et Edwige Feuillère en institutrice retraitée. Mais aussi Sonia Saviange (Le crime d'amour), Nathalie Delon (Absences répétées), Claire Nebout et Catherine Belkhodja (Nuit docile). Certaines d'entre elles vont même jusqu'à participer à la production des films : ce fut le cas de Danièle Delorme sur Absences répétées, et de Macha Méril, sur Au pan coupé et sur Le crime d'amour.
A noter une véritable constellation Demy : Delphine Seyrig (Peau d'Ane / Le jardin qui bascule), Micheline Presle (Peau d'Ane / Le clair de terre), Elina Labourdette (Lola / Le clair de terre), Danièle Delorme (La naissance du jour / Absences répétées).

Jeanne Moreau fut quant à elle l'une des plus grandes admirations du cinéaste. Si au grand désespoir de Guy Gilles, elle ne fut l'interprète principale d'aucun de ses films, elle apparaît furtivement dans nombre d'entre eux et à des titres divers : un plan dans Côté cour côté champs, une séquence dans Saint, poète et martyr, durant laquelle elle récite un texte de l'écrivain, une séquence (où elle chante une chanson) dans Le jardin qui bascule, sans compter Jeanne raconte Jeanne, vingt minutes d'émotion, entre scopitone fait maison (Jeanne chantant "La célébrité" dans sa cuisine!) et belle interview sur l'amour et la vie. C'est encore elle qui écrit les paroles et chante la chanson d'Absences répétées.

Concernant les interprètes masculins, seuls Patrick Penn (Absences répétées), Richard Berry et Jacques Penot (Le crime d'amour) et enfin Pascal Kelaf (Un garçon de France, Nuit docile) concurrencent l'indispensable Patrick Jouané. A noter cependant les très beaux rôles de Bernard Verley dans Au pan coupé, et de Roger Hanin dans Le clair de Terre. Noter enfin que Guy Gilles apparaît à plusieurs reprises dans ses films, depuis son premier court (Soleil éteint) et son premier long (L'amour à la mer), où il joue presque son propre rôle, à son dernier (apparition dans Néfertiti).

L'originalité du projet de Guy Gilles, rêvant d'un cinéma réconcilié entre son versant traditionnel/populaire et son versant moderne/auteuriste, peut se lire de façon limpide à travers l'utilisation qui est faite des acteurs. Les deux familles se côtoient, se mélangent, se heurtent sans arrêt : Edwige Feuillère, Danièle Delorme et Françoise Arnoul appartiennent plutôt au cinéma de l'enfance, côté industrie du rêve; Macha Méril, Jeanne Moreau et Delphine Seyrig viennent à l'inverse du cinéma de Godard et Duras. A l'intérieur d'un même film, corps stéréotypés et corps naturels, vedettes anciennes et jeunes débutants peuvent parfaitement coexister. L'amour à la mer en est l'exemple type : Brialy et Léaud en plein essor Nouvelle Vague, Lili Bontemps ressuscitée du music-hall des années 50.

Emmanuelle Riva dans "Festival 1966 Cinéma 1967 "

C'est par ailleurs un des fils rouges de Festivals 1966 Cinéma 1967 : la problématique des acteurs y est moins traitée dans le rapport à l'idôlatrie - vite évacué dans un plan de Sophia Loren et Deneuve montant les marches - que dans la question bressonienne du modèle/amateur et du professionnel/vedette. Cette question traverse les interventions de Bresson - qui avoue admirer Jouvet à cause de son côté mécanique - , de Godard - qui parle du terrorisme de Bresson - et d'Alice Sapritch - qui ne peut supporter les acteurs documentaires et veut indifféremment faire du ciné, du théâtre et de la télé.

Elle traverse aussi toute l'œuvre de Guy Gilles, qui bascule sans cesse de l'un à l'autre, entre femmes mûres (généralement des vedettes) et adolescents (plutôt amateurs ou anonymes). Le paradigme de cette utilisation reste l'anecdote concernant la participation de Patrick Jouané aux Quatre nuits d'un rêveur de Bresson - Jouané considéré comme "pro" par le cinéaste, donc ne pouvant jouer que ce qu'il est, un acteur : ici le gangster du film dans le film.

L'amour du cinéma, et particulièrement l'amour des acteurs, est un motif récurrent de l'œuvre de Guy Gilles : exposé à travers ces médiations que sont photos - innombrables éléments de décor, où Marilyn revient continûment - ou journaux - Cahiers du Cinéma avec en couverture Hiroshima mon amour dans Le partant - mis sous verre - rétrospective Dolores del Rio dans La loterie de la vie - en vitrine - photos d'exploitation de Jules et Jim avec son contrechamp sur la vraie Jeanne Moreau dans Côté cour côté champs - le motif se décline aussi à travers la salle de cinéma - qui projette Le jardinier d'Argenteuil dans Le clair de terre - et la projection elle-même - Pandora dans Un garçon de France , mais surtout Delon et Gréco dans L'amour à la mer, le film dans le film étant aussi signé Guy Gilles. Il s'agit d'une véritable mise en scène du désir, des fétiches, qui court de film en film, opérant autant un désir de fusion qu'une mise à distance salvatrice.

Guy Gilles a aussi réalisé deux très beaux films autour de la salle de cinéma, Ciné bijou - disparition des petites salles de quartier - et dix ans après Montreur d'images , dans lequel Frédéric Mitterrand décrit son rêve d'exploitation avec L'entrepôt (marier cinémas arabes engagés, films de Straub et mélos kitsch!) avant de basculer de l'autre côté de l'écran, comme dans La rose pourpre du Caire , mais avec le bénéfice du retour dans le temps : c'est un petit garçon d'à peine dix ans qu'on découvre aux côtés de Michèle Morgan et Bourvil dans un vieux nanar des années 50.

"Où sont elles donc ? "

On se souviendra enfin du magnifique Où sont-elles donc, dans lequel Guy Gilles fait revenir les vedettes de son enfance : Odette Laure, Madeleine Sologne, Marcelle Derrien, Dannick Patisson…La question qu'il leur pose - comment c'est, la vie sans le cinéma ? - ne peut pas ne pas résonner comme une interrogation bien personnelle, à un moment (1983) où le cinéaste a bien du mal à tourner lui-même. Cet effet miroir rend le film particulièrement attachant, trouvant la bonne distance entre ironie et tendresse, d'autant que le lien qui unit ces femmes à Guy Gilles semble fait d'une telle reconnaissance réciproque, qu'elles se livrent (pour certaines d'entre elles) avec une authenticité et une sincérité étonnantes.

C'est aussi une façon de boucler la boucle, de revenir, en fin de parcours, à la source de la vocation : les actrices.