Guy Gilles   Cinéaste français (1938 - 1996)
Guy Gilles

" Il faut apprendre à renoncer.
Mais, j’ai compris, vivre ce n’est pas se souvenir d’une ville, d’un instant, d’un visage, même si c’étaient les plus beaux du monde.
Pour continuer, il faut apprendre à oublier. "

 

Soleil Eteint

Luc Bernard, Madeleine Sologne et Guy Gilles sur le tournage de "Où sont-elles donc ?"

Luc Bernard

Frère cadet du cinéaste, il est l'auteur d'un documentaire consacré à la vie et à l'oeuvre de Guy Gilles : Lettre à mon frère Guy Gilles, cinéaste trop tôt disparu (75 minutes, 1999). Une version courte réalisée pour la télévision (52 minutes) a été éditée en bonus dans le coffret des Editions Montparnasse (2008).
Par ses activités de journaliste, Luc Bernard a souvent témoigné du tournage des films de son frère, tenant un éclairant journal de bord pendant Au pan coupé et Le Clair de terre (ce dernier pouvant être consulté à la Bifi, c'est un trésor d'informations - Journal du tournage du Clair de Terre, 1971).
Luc Bernard à aussi aidé Guy Gilles à travailler pour la télévision dans les années 80 et 90, en particulier pour l'émission "Moi Je", lui permettant de retrouver ça et là des espaces de liberté et d'inventions.
Il est décédé en août 2002.

 

 

Portrait-souvenir de Guy Gilles


Par son frère Luc Bernard, à l'occasion de la note d'intention de son film, "Lettre à mon frère Guy Gilles cinéaste trop tôt disparu" (1999).

Elève de l'école des beaux-arts d'Alger, il est d'abord peintre avant de devenir cinéaste. Il écrit aussi à "L'Echo d'Alger" des chroniques de cinéma et des reportages sur l'Algérie, dont l'un d'eux, Tipasa a des accents camusiens très marqués. Guy Gilles veut tout et tout de suite. Avec l'argent de ses piges, il produit et réalise à 20 ans deux courts métrages: Soleil éteint et Au biseau des baisers qu'apprécie le cinéaste François Reichenbach.

Ses débuts à Paris
Il vient à Paris en décembre 1960 pour travailler avec lui. Puis Guy Gilles fait une rencontre "décisive", celle double d'Agnès Varda et de Jacques Demy dont il sera, un temps, l'assistant pour "la Luxure". Au biseau des baisers lui ouvre également les portes du producteur de la Nouvelle Vague, des Godard, Truffaut et autres : Pierre Braunberger, qui accepte de distribuer son court-métrage.
Guy Gilles, parce qu'il est sensible au temps qui passe et à la jeunesse qui s'enfuit - deux thèmes majeurs de son oeuvre -, se lance à la conquète de Paris, la capitale, la ville rêvée depuis son Algérie natale. Et puisque convaincre un producteur de financer un long-métrage est trop long, cet impatient imagine filmer quatre courts-métrages au rythme des saisons, qui, ensemble, feront son premier long-métrage: L'amour à la mer.

Delon, Greco, Brialy lui font confiance
Cet impatient le commence en le finançant lui même avec son cachet d'acteur du film Tir au flanc de Claude de Givray. Car, peintre, il est aussi son propre caméraman, son propre monteur et a un talent d'acteur certain et une belle gueule, ce qui ne gâte rien. Il se réserve dans L'amour à la mer, un rôle largement autobiographique aux côtés de Daniel Moosman et Geneviève Thénier, rencontrés sur le tournage de "La luxure", sketch des Sept péchés capitaux de Jacques Demy. Mais il convainc aussi, usant de sa force de persuasion et de son charme, plusieurs stars d'y participer: Alain Delon, Juliette Gréco, Jean-Pierre Léaud, Sophie Daumier, Bernard Verley et Jean-Claude Brialy.

Son premier film demeure inédit
Guy Gilles est célébré par la presse comme le plus jeune cinéaste de France. Il n'a que 22 ans quand France Roche l'interview . Mais L'amour à la mer ne sera jamais distribué. Encore inédit à ce jour. C'est sa première déception qui marquera sa vie et sa carrière, explique le critique Michel Cournot. Tandis que l'historien Jean Tulard s'interroge: "Qu'a-t-il manqué à cet algérois doué pour que la chance lui sourit ?" L'interrogation servira de fil conducteur à ce portrait-souvenir. L'amour à la mer reste dans les tiroirs des producteurs. Mais il en faut plus pour décourager ce battant qui confie à France-Culture le secret de son coeur, le moteur de son inlassable activité : "J'ai eu une adolescence de rêve puisque je rêvais de filmer".

Reichenbach et Macha Meril le produisent
Ce rêve devient réalité pour le cinéma et pour la télévision, il alterne courts et longs métrages. Trois hommes vont compter dans sa carrière : le cinéaste François Reichenbach, pour lequel il filme ou monte à de nombreuses reprises; l'agent d'Alain Delon, Georges Beaume, qui deviendra le sien, et l'écrivain Roger Stéphane qui lui ouvre les portes de la télévision, le faisant collaborer à son émission "Pour le plaisir". Une femme également va pulser son travail : l'actrice Macha Méril, interprète de soin second film, Au pan Coupé, aux côté de celui qui sera l'acteur de presque tous ses films : Patrick Jouané. Elle sera également productrice du film. Sur les traces de Mary Pickford, elle crée la Machafilm.

Edwige Feuillère devient son interprète
Mais, en réalité, le film ne se fait que parce que Guy Gilles obtient l'avance sur recettes du Centre national du cinéma. Il est l'exemple même de ces cinéastes de qualité, filmant hors des sentiers battus, qui n'auraient pu réaliser ses huit longs métrages sans l'appui du CNC. Et la prise de risques personnels. Parce que le cinéma est un art mais aussi une industrie, ce poète sait aussi se faire artisan. Il créé, sur les conseils de Claude Lelouch, pour lequel il a filmé les Jeux Olympiques d'hiver de Grenoble, sa propre maison de production pour co-produire son troisième film: Le Clair de Terre avec Patrick Jouané mais aussi Edwige Feuillère - ravie de tourner avec une jeune équipe - Annie Girardot, Micheline Presle, Roger Hanin. Ce retour aux sources d'un jeune pied-noir en Tunisie à la recherche de son "temps perdu" obtient le Grand prix du Festival d'Hyères 1970 et est salué par la critique - Claude Mauriac dans "Le Figaro Littéraire" - comme "le premier film proustien"..

Il filme deux portraits de Proust et de Genet pour la TV
Dans la foulée, Roger Stéphane lui commande pour la Première Chaîne un long métrage documentaire à l'occasion de l'anniversaire de Proust. Ce sera Proust, l'art et la douleur, où l'on découvre pour la première fois Céleste Albaret, la célèbre gouvernante de Proust. Guy Gilles qui connaît par coeur l'oeuvre de Proust, sait jouer de la musique du souvenir. Une anecdote: il monte aux Buttes-Chaumont son film et une femme de ménage jette malencontreusement son découpage. En trois nuits, fiévreusement, il le reconstitue tant il connait son Proust . Passionné de littérature, il signe plusieurs années après, pour l'émission "Plein Chant" d'Hélène Martin (2eme chaîne), un retentissant Saint Genet, poète et martyr.

Il obtient le prix Jean Vigo et rencontre Jeanne Moreau
Au cinéma, il continue de creuser son sillon : les années 70 lui vont bien. Avec Absences Répétées, film sur les drogues dures et critique caustique de l'homosexualité - célébré par François Chalais sur Europe 1 -, il obtient le prix Jean Vigo 1973. Nathalie Delon, Danièle Delorme, Yves Robert sont autour de Patrick Penn et Patrick Jouané. La chanson du film est écrite et interprétée par Jeanne Moreau qu'il rencontre et qui constitue un tournant dans sa vie et dans son oeuvre.
Souvenirs: le magazine "Vogue" où Jeanne Moreau le choisit comme l'un des cinq hommes les plus séduisants. Et puis quelques coupures de journaux à scandale lors de leur rupture. Et chez Guy, la sensation d'avoir fait la rencontre de sa vie ne le quitte plus.
Le jardin qui bascule avec Delphine Seyrig, Sami Frey, Guy Bedos, Howard Vernon, autour de Patrick Jouané, faux-polar, est l'histoire d'une passion. Dédiée à Jeanne, qui, une fois encore, interprète la chanson du film. Parallèlement au cinéma, Guy Gilles poursuit son travail de documentariste. Il part au Mexique filmer La Loterie de la vie, un essai personnel sur le Mexique, qu'il a appris à découvrir aux côtés de François Reichenbach.

Tournage interrompu
Le début des années 80 ne lui est pas favorable. Sa vie ressemble à ces films américains, tel Sunset Boulevard. Il commence La tête à ça avec Carole Laure, produit par Axe Films. Mais le tournage est interrompu. Pour ce cinéaste qui place la rigueur au-dessus de tout, il n'est pas question de filmer contre son coeur. Le secret sera bien gardé : rien ne filtre dans la presse. Mais tout n'est pas perdu, il se ressource et effectue son come back deux ans plus tard, en réalisant et produisant lui même Le crime d'amour, avec (à nouveau) Macha Meril, Richard Berry et Jacques Penot. Le voilà fin prêt pour de nouvelles chevauchées. Il tourne pour la télévision Un garçon de France d'après le roman de Pascal Sevran et plusieurs courts sujets dans les émissions "Moi je", "Cinéma-Cinémas".
Les temps cependant sont durs et ce n'est que cinq ans après Le crime d'amour qu'il parvient à filmer Nuit Docile, avec Claire Nebout et Patrick Jouané, peut être son film le plus personnel. C'est ensuite un nouveau retour aux sources, avec un documentaire: Dis Papa, raconte moi là-bas, où Richard Berry interprète le rôle d'un père pied noir qui explique à son film ce qu'était son Algérie.

Néfertiti, les coulisses d'un tournage à problèmes
Avant de mourir le 3 février 1996, il a le temps de terminer Néfertiti, une co-production franco-russo-italienne. Une fois encore, sa vie et sa carrière qui étaient intimement liés, ressemblent à un de ces films américains sur les tournages heurtés et les coulisses à problèmes des superproductions. Il lui faut toute sa détermination pour mener à bien Néfertiti malgré la discorde des producteurs, le froid glacial du tournage à Riga dans les studios russes et les coups bas qui se multiplient. A Cinecitta, le producteur italien lui interdit l'accès à sa salle de montage. Comme les majors l'ont fait à Orson Welles, on tripatouille derrière son dos le film. Mais une dernière fois, il tient bon, obtient de remonter à Paris la version française. Mais comme L'amour à la mer, Néfertiti est encore à découvrir. Projeté une seule fois à l'Institut du Monde Arabe et sur Canal plus, une semaine avant sa mort.

Portrait souvenir sous forme de lettre
C'est l'histoire de Guy Gilles, cinéaste trop tôt disparu que ce portrait-souvenir veut raconter, - sous forme de lettre - s'appuyant sur des témoignages, des extraits de films, une riche iconographie, sa collection de tableaux de peinture, son appartement dans le Marais qui lui ressemblait et sent encore l'odeur de ses cigarettes blondes. Parce que, pour moi, son frère, selon le mot de Chris Marker (qui l'attribuait à Paris): "Rien n'est plus beau que Guy, sinon le souvenir de Guy."

Luc Bernard
Mardi 13 janvier 1998