Guy Gilles   Cinéaste français (1938 - 1996)
Guy Gilles

" Dans tous ses films, qui sont des films d'amour et de tourment, les personnages luttent contre le mal de vivre, la fuite inexorable du temps, veulent faire de l'absolu avec de l'éphémère. Et même s'ils ne racontent pas la vie de Guy Gilles, ils sont autobiographiques; une suite de rencontres, les blessures inguérissables d'une passion récurrente. "

Jacques Siclier

Critiques

FESTIVAL INTERNATIONAL DU FILM CANNES 87
Perspectives du cinéma français


Guy Gilles entre rêve et solitude


Par E.F.

Nuit docile, de Guy Gilles, est jusqu'à présent le film le plus abouti, le plus réussi de la section Perspectives du cinéma français. Paris, la nuit. Jean (Patrick Jouané) appelle Stella (Claire Nebout) d'une cabine téléphonique. Scène de rupture. Jean, le peintre, quitte Stella. Jusqu'à l'aube, de cabine en cabine, de Pigalle au canal Saint-Martin, ils parlent au téléphone de leur amour qui est mort.
Flash-back... Les souvenirs remontent à la surface. Passé et présent s'entremêlent en taches de couleur ou en noir et blanc. Le film est un tableau qui se compose au fur et à mesure. Les êtres prennent corps petit à petit.
De-ci, de-là, au hasard des personnages de son film, on découvre Guy Gilles. On a la sensation de feuilleter l'album de sa vie. Il glisse un peu de lui-même dans chacun de ses héros. On retrouve aussi dans Nuit docile les thèmes qui l'obsèdent : l'amour et la mort, la mort de l'amour. Et puis encore le temps qui passe, l'errance et la dérive, la solitude et le rêve.
Dans la vie, Guy Gilles effleure les mots, de peur sans doute de les briser! II prend le ton feutré de la confidence. II est d'une grande pudeur. Il se livre au compte-gouttes. Comme Jean, son héros, il a besoin d'être seul pour créer. Alors il part s'enfermer dans une chambre d'hôtel au Maroc ou bien chez sa grand-mère à Marseille.
Il me montre des photos d’Alger, ville de lumière, ville de son enfance. “J'ai découvert le cinéma dans les petites salles de quartier de là-bas. J'allais tout voir. J'aimais tout en bloc: les navets et les chefs-d'oeuvre. C'est à l'écran que j'ai vu ma première femme nue! C'était Françoise Arnoul dans L'Epave. Pouvais-je imaginer qu'un jour elle tournerait dans deux de mes films, Un garçon de France et Nuit docile? Dès l'âge de huit ans je savais que je deviendrais réalisateur. C'était une évidence. Et puis à la maison on aimait les comédiens. Ma mère et sa sœur avaient un cahier d'artistes. Elles écrivaient aux acteurs qui leur renvoyaient leurs photos dédicacées”.

Autre photo, dernier souvenir. Guy Gilles tend la photo de Patrick Jouané, son comédien fétiche et fidèle qui a tourné dans tous ses films, de l'Amour à la mer à Absences répétées en passant par Le jardin qui bascule. Une amitié qui dure et qui est aussi une source d'inspiration.

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LES ILLUMINATIONS DE GUY GILLLES
Par Gilbert Guez    

 

Il fait des films comme on lance des bouteilles à la mer. Le dernier évoque « Une Saison en Enfer ».

En 1964, c’était le choc de L’Amour à la mer, premier long métrage de Guy Gilles qui évoquait impérieusement Le Bateau Ivre et Rimbaud par la bouillonnante exigence, l’effusion constante, l’ivresse d’exister. Après Au pan coupé et Le Clair de terre, malgré le prix Jean Vigo (Gilles est tellement de la famille spirituelle de Vigo que Jean Dasté figure dans Nuit Docile)  décerné en 1973 à Absences répétées, malgré Le Jardin qui bascule en 1975 avec Jeanne Moreau et Delphine Seyrig, malgré Le Crime d’amour en 1981 avec Richard Berry et Macha Méril, Guy Gilles reste le cinéaste des « happy few ». Il vous appartient donc d’en faire partie.

Dans Nuit Docile, un peintre, Jean (Patrick Jouané) quitte Stella (Claire Nebout) parce que leur amour n’est plus ce qu’il devrait être. Mais il n’est pas mort. Tout au long de la nuit, d’une cabine téléphonique à l’autre, Jean appelle Stella. Dans cette « saison en enfer », il rencontre un jeune prostitué qui s’attache à ses pas, d’autres personnages en manque d’amour, aussi une femme à la générosité rayonnante, Françoise Arnoul, qui tente d’éclairer cette nuit.

Ne voulant même pas influencer les courants qui pourraient recueillir sa nouvelle bouteille à la mer, Guy Gilles, délibérément, est absent de Paris. J’ai donc rencontré Patrick Jouané : parce qu’il est présent dans chacun des films de Gilles depuis le premier ; parce que le jeune faune malicieux d’hier est aujourd’hui  comme un grand brûlé de la vie ; et parce qu’il est, dans ce film, si juste que, forcément, il doit sentir juste et penser juste. Ce qu’il confirme aussitôt :

PJ - Il ne faut pas vouloir absolument que je sois l’alter ego de Guy, mais son porte-émotions, oui... Pendant des semaines, nous avons tourné dans les rues de Paris. La nuit englobe : ça fait comme un lit ; comme un écrin aussi : ça met en valeur ce qui arrive... »
- Il y a une scène saisissante : celle où vous rendez visite à un ami cinéaste, lequel passe... la cassette d’un film réalisé dix-sept ans plus tôt, et qui est Ciné Bijou, tourné par Guy Gilles quand vous aviez vous-même dix-sept ans. Là encore, j’ai pensé à Rimbaud : « La dernière innocence et la dernière timidité ». Cela vous a fait quel effet de vous revoir ainsi ?
PJ - J’ai appris qu’un film retient plusieurs jeunesses : celle de celui qui filme, celle de celui qui est filmé, et même celle de celui qui voit le film pour la première fois.
- Un film est fait de révélations partielles. On retrouve ici des références à Cocteau (Piéral), Genet (les prostitués), on passe devant l’Hôtel du Nord, on croise Pierre Etaix, Gisèle Préville, Philippe Mareuil.
PJ - Guy parle de « l’altération des êtres et la fixité du souvenir ».
- Et ce film de rêveur éveillé est d’une présence formidable grâce à la sensualité de l’image, au relief presque blessant du visage de Claire Nebout et du vôtre.
PJ - Avec nos physiques, nous n’avons pas besoin de mitraillette, Claire et moi.
- Bien que vous dégagiez des éclairs à la Antonin Artaud, cette opération à cœur ouvert se fait avec une douceur terrible.
PJ - Avec Guy, il faut aller toujours de l’extérieur à l’intérieur...

Guy Gilles a la quarantaine. A l’explosion, il a substitué l’implosion. Mais répondez : si Rimbaud revenait parmi nous, l’écouteriez-vous ?