Guy Gilles   Cinéaste français (1938 - 1996)
Guy Gilles

" Dans tous ses films, qui sont des films d'amour et de tourment, les personnages luttent contre le mal de vivre, la fuite inexorable du temps, veulent faire de l'absolu avec de l'éphémère. Et même s'ils ne racontent pas la vie de Guy Gilles, ils sont autobiographiques; une suite de rencontres, les blessures inguérissables d'une passion récurrente. "

Jacques Siclier

Critiques

Par Jacques SICLIER

« Tous mes films sont liés à l'idée du temps, ce qui est le propre des gens qui pensent beaucoup au suicide », disait Guy Gilles, lors de la sortie d'Absences répétées (prix Jean Vigo 1973). Pour lui - c'est son romantisme, - la jeunesse est un mal incurable et la vieillesse une épreuve insupportable. Il le dit à nouveau dans son cinquième film, où se rencontrent, pour une passion fugitive, un jeune homme de vingt-cinq ans, Karl (Patrick Jouané), et une femme à la maturité rayonnante, Kale (Delphine Seyrig).

Karl est entré, avec son ami Roland (Philippe Chemin), dans la villa entourée de verdure qu'habite Kate, pour l'assassiner. Ces deux voyous à gueule d'ange appartiennent à une organisation de tueurs à gages dont les raisons d'agir ne sont pas expliquées, car ce n'est pas le sujet. La seule chose importante est que la rencontre de Kart et de Kate se fasse sous le présage de la mort, une mort qui, à passer par le chemin, le sentier plutôt, de l'amour, sera comme un inéluctable sacrifice.

Karl rêve souvent qu'il court dans un jardin, basculant toujours d'un côté ou de l'autre. Symbole d'un absolu qu'il ne peut atteindre. Le jardin de Kate pourrait être cet absolu, mais Kate ne le veut pas. Elle a quarante ans, la peau douce et beaucoup de souvenirs. Elle a peur de ce qui dure, car durer, c'est vieillir. Kate tente de supprimer le temps, en évoquant son passé d'une manière mythique (comme une femme fatale de cinéma), en lisant pendant des heures n'importe quel livre, en faisant de la passion qu'elle vit avec ce garçon un amour éphémère. Car elle est la mort de Karl comme Karl est sa mort.

C'est la lecture sensible qu'on peut faire de ce film très beau, très triste, très maîtrisé. Mais certainement déconcertant pour qui ne va chercher au cinéma qu'un divertissement avec une intrigue et des images qui « bougent ». Le Jardin qui bascule est un film à contempler, dont presque chaque plan est une « nature morte » de photographe ou de peintre. Personnages, paysages et objets sont saisis, comme immobilisés dans les instants où ils surgissent sur l'écran. Delphine Seyrig, qui n'a jamais été aussi belle ni aussi émouvante, incarne la nature insaisissable de la femme, figurée aussi par Jeanne Moreau et Anouk Ferjac, qui ne font qu'apparaître. Patrick Jouané , sombre et blessé jusqu'au désespoir, est très exactement l'acteur qui convient à l'univers de Guy Gilles, où l'adolescent, le jeune homme, est condamné à aller, très vite, jusqu'au bout de lui-même.

Le Monde, 22 mai 1975 (D.R.)