Guy Gilles   Cinéaste français (1938 - 1996)
Guy Gilles

" Dans tous ses films, qui sont des films d'amour et de tourment, les personnages luttent contre le mal de vivre, la fuite inexorable du temps, veulent faire de l'absolu avec de l'éphémère. Et même s'ils ne racontent pas la vie de Guy Gilles, ils sont autobiographiques; une suite de rencontres, les blessures inguérissables d'une passion récurrente. "

Jacques Siclier

Critiques

Tendresse sur fond de nostalgie
• Téléfilm : Un garçon de France, jeudi 6 juin, FR3, 20h35 (105 mn).
Par NICOLAS Paquette


Laurent a dix-neuf ans lorsqu'il débarque, un matin de 1959, gare d'Austerlitz, à la recherche de sa mère, Maria-Luisa Rodriguez, une Espagnole dont on lui a tout caché. Son coeur est resté à Bellac (HauteVienne). Images d'enfance : un père sous-préfet, la solitude d'un petit garçon dans la campagne limousine, et le souvenir fugace de cette femme (sa mère), venue comme une apparition l'embrasser un jour, sur un pont de chemin de fer. Découverte de Paris, Trenet chante l'Ame des poètes... Un petit hôtel dans le douzième, rencontre avec Mado (Françoise Arnoul), brune et belle comme une star d'Hollywood, miss Alger vingt-cinq ans auparavant, et qui garde toujours en mémoire l'« italien » qu'elle a aimé, mort à Mersei Kébir. Histoire d’une tendresse entre deux êtres dont la vie s'est arrêtée sur une déchirure. En toile de fond, les « événements » d’Agérie et l'OAS... Hiroshima mon amour est à l'affiche (la même blessure, peut-être).
Ce film de Guy Gilles, dans lequel on retrouve le goût de Pascal Sevran pour les années d'après guerre, avec en contre-point les chansons de l’époque, est une comédie dramatique qui manque un peu de souffle mais qui plaira aux nostalgiques et aux sensibles. Françoise Arnoul est radieuse.


Téléfilm : Un garçon de France, FR 3, 20 h
Education sentimentale
Par Christine Ferniot


Entre guerre d'Algérie et passions adolescentes, Pascal Sevran signe ici une adaptation réussie de son roman. Un téléfilm que l'on regarde pour mieux se souvenir.
Pascal Sevran aime le musichall, le rideau rouge qui tremble, les velours cramoisis, les dorures, les lustres, les voix chères qui se sont tues. Chaque jour de la semaine, il évoque dans La Chance aux chansons (sur TF1) cette passion couleur sépia, mais il a essentiellement avoué ses amours dans des romans plus ou moins autobiographiques comme Vichy Dancing (adapté voilà deux ans à la télévision) ou ce Garçon de France, diffusé ce soir sur FR 3.
Laurent d'Entraygue, garçon de Bellac, est encore à la lisière de l'adolescence et de l'âge adulte. Il “monte” à Paris pour faire son éducation tous azimuts au moment où l'actualité politique est dominée et minée par le conflit algérien. Ses rencontres seront essentielles, rencontres féminines pour la plupart. Mais pour parvenir à l'équilibre adulte, voire au bonheur, Laurent devra auparavant gravir quelques marches qui lui permettront de retrouver sa mère qu'il n'a presque jamais connue. Lorsqu'il aura confronté le rêve avec la réalité, il pourra enfin considérer la femme comme un être vivant et non un mythe implacable.
Pascal Sevran a repris la grande aventure classique de l'éducation sentimentale, façon xxe siècle, mais il y a installé son amour maniaque pour les reconstitutions d'époque, au détail près. Et tout y est : photos parfaites, publicités des années 59, vêtements, coiffures, décors. Laurent devient un jour barman dans une boîte de Pigalle et l'on croit revivre ces derniers temps de paix et de luxe interlope. Complices, Pascal Sevran et le réalisateur Guy Gilles ont choisi des comédiennes et des chanteuses qui ont déjà une longue carrière derrière elles: Janine Darcey, Ginette Garcin, Odette Laure ou Anny Gould dont la voix puissante et sensuelle est demeurée plus vivace que jamais. Le couple Laurent-Mado, Pascal Kelaf-Françoise Arnoul, a le charme pudique de ces amours jamais avouées, toujours voilées et pudiques et c'est lui qui domine ce téléfilm délicat et pétillant comme une coupe de champagne.
Françoise Arnoul est “toujours” belle, et ce «toujours» n'est pas vulgaire ou indélicat. Elle joue une femme mûre qui connaît la vie et son prix, Laurent sera sans doute son dernier amour après des années de passades sans passion ou l'intérêt dominait trop souvent le sentiment. Laurent a les élans du coeur qui annulent l'expérience et ce jeu de l'amour et du hasard s'achèvera sur une union pure et linéaire.
Chose rarissime, Pascal Sevran a parfaitement réussi l'adaptation de son livre, retrouvant le charme de son écriture délicate, évocatrice, sachant accepter ou provoquer des acteurs parfaits pour interpréter ses personnages à la limite de la réalité et du réalisme. La minutie des décors ajoute encore à ce charme “rétro” entre Trenet et Salvador, entre mélodrame et rêve « kitsch ».


Vedettes d'hier

Quatre figures du spectacle réapparaissent dans le téléfilm de Pascal Sevran. Un second souffle pour la plupart de ces vedettes aujourd'hui oubliées, ou révélées sur le tard. Janine Darcey, qui fut la première femme de Serge Reggiani, a été en 1938 la révélation d'Entrée des artistes, de Marc Allégret. Elle joua ensuite plusieurs petits rôles, avant de disparaître complètement des écrans.
Ginette Garcin, plus connue aujourd'hui, fut d'abord chanteuse dans l'orchestre de Jacques Hélian. Épouse de l'humoriste Robert Beauvais, aujourd'hui disparu, elle se fit une réputation de femme de tête fantaisiste et volubile, en apparaissant dans la plupart des films de Jean Yanne (Tout le monde il est beau). Toujours attirée par la chanson parodique, elle a fait aussi quelques apparitions remarquées dans Cousin, cousine et Notre histoire de Bertrand Blier.
Odette Laure, chanteuse fantaisiste à ses débuts a fait plusieurs silhouettes au cinéma dans les années 1950-1960. Mais sa gouaille acide fut surtout remarquée à la télévision il y a un vingtaine d'années quand elle forma un couple de Français moyens, avec Pierre Louis. On a pu la revoir récemment dans Le Blockhaus (A 2).
Quant à Anny Gould, chanteuse de cabaret dramatico-réaliste dans les années 50, elle a aujourd'hui complètement disparu de la scène.


Un garçon de France - Jeudi - 20h.35 - FR3
"Ah, les petites femmes " de Paris...


Pascal Sevran, l'animateur quotidien de La chance aux chansons (sur T.F.1) et de Laissez passer la chanson (sur F.R.3) est avant tout un écrivain et un romancier bercé par une enfance musicale, entre grands hotels et scènes de music-hall.
Voici quelques années, nous avions pu apprécier l'adaptation de son roman Vichy Dancing à la télévision avec Colette Renard dans le rôle principal. Aujourd'hui, c'est Un garçon de France qui est adapté par Pascal Sevran lui-même, avec Françoise Arnoul pour vedette.

Françoise Arnoul, femme fatale
Dans chacun de ses romans, on retrouve les mêmes thèmes chers à son cœur : la musique, la reconstitution d'une époque, un éloge tendre et suranné de l'enfance. Dans Un garçon de France, la trame de l'histoire est assez mince : un jeune homme de province décide de “monter à Paris” pour connaître enfin sa mère qu'il n'a aperçu qu'une seule fois lorsqu'il était enfant
Toute son aventure parisienne tourne autour des femmes, à la fois protectrices, attentives et maternelles. Seule la vraie mère demeure invisible, comme bannie du tableau. Le jeune homme est protégé par une patronne d'hôtel affable et généreuse, puis par une femme d'une beauté plus mystérieuse dont les premières rides ne sont qu'un charme de plus. Toutes entourent le garçon fragile.
Mais, pour devenir homme ce “garçon de France'” sait qu'il doit voir sa mère pour cesser de l'idéaliser. Dès ce jour, il saura ouvrir les yeux sur le monde et les autres femmes.
Tout le téléfilm tient par le charme de la reconstitution d'une époque délicate : 1959, un moment où l'Algérie hante les pensées de chacun. Le héros travaille chaque soir dans un bar de Pigalle, entre des clients généreux et des patrons un peu louches. Une femme vieillissante y chante quelques refrains éternels (admirable Anny Gould) sur un fond de velours cramoisi et de chandelles dorées. Tout y est minutieusement restitué et la caméra s'éternise ainsi sur un décor subtil.
Françoise Arnoul, qu'on voit trop rarement aujourd'hui, sourit en jouant les femmes un peu fatales, telles que Colette nous les décrit dans ses romans comme Chéri. Vêtue de noir, elle regarde les photos de son passé avec une émotion qui finit par gagner le téléspectateur. Lent, très lent, sera cet apprentissage de la vie pour ce garçon tour à tour emprunté et vigoureux. Mais l'amour sort toujours vainqueur dans les romans de Pascal Sevran....