Guy Gilles   Cinéaste français (1938 - 1996)
Guy Gilles

" Dans tous ses films, qui sont des films d'amour et de tourment, les personnages luttent contre le mal de vivre, la fuite inexorable du temps, veulent faire de l'absolu avec de l'éphémère. Et même s'ils ne racontent pas la vie de Guy Gilles, ils sont autobiographiques; une suite de rencontres, les blessures inguérissables d'une passion récurrente. "

Jacques Siclier

Critiques

Guy Gilles a tourné "L'amour à la mer"

Par Guy Tesseire

Avec son premier long-métrage "L’amour à la mer", Guy Gilles prouve qu’on peut réaliser un film le ventre creux
Deux jeunes cinéastes vont solliciter pour la première fois le verdict du public au mois d’avril, deux garçons qui sans argent, à force d’opiniâtreté et de talent, ont pu réaliser leur rêve : faire un grand film! Guy Gilles, dont L’amour à la mer sortira bientôt en exclusivité sur la rive gauche, et Serge Korber, dont nous verrons la semaine prochaine sur les boulevards Le 17e ciel, appartiennent tous deux à la race des poètes. Voici aujourd’hui le destin significatif de Guy Gilles.

J’ai connu Guy Gilles à Alger, il y a six ans. Il tournait déjà des courts-métrages à la sauvette dans les rues, sur les plages. Il n’avait pas de quoi manger parce qu’il consacrait tout l’argent qu’il gagnait à acheter de la pellicule. Dans un univers en folie, il promenait sa caméra, inconscient des périls mais tourmenté par le drame qui se jouait autour de nous.
Le dernier film qu'il tourna là-bas, Au biseau des Baisers, s'acheva tragiquement sur une rafale de mitraillette qui faucha le jeune interprète, un soir après le couvre feu.

Sans lumière ni chauffage
Guy Gilles, bouleversé, quitta ce monde où le soleil devenait si cruel et débarqua un matin de l'hiver 1960 dans la grisaille parisienne :
“ Je n'avais pour tout bagage, raconte-t-il, qu'une valise et un portrait de ma mère que j'avais peint moi-même, C'était vraiment la misère noire. Et puis j'ai rencontré Claude de Givray qui tournait à ce moment-là Tir au flanc. Il m'a donné un petit rôle qui m'a un peu sauvé la vie. Après quoi je suis allé montrer mes films au producteur Pierre Braunberger, qui est vraiment le Saint-Bernard des jeunes cinéastes, C'est chez lui que j'ai fait la connaissance de François Reichenbach qui précisément venait de fonder une maison de production de courts métrages. II m'a dit : “Si vous avez un sujet, je le produirai”. J’ai tourné alors Melancholia en trois jours. Reichenbach m’a donné un peu d’argent et j’ai pu faire quelques vrais repas.”
Guy Gilles vivait alors dans une chambre sans lumière ni chauffage, et lui qui connaissait déjà le sens de l’expression “crever de faim”, découvrit ce que signifiait “crever de froid”.
“Avec les chutes d’une bagarre filmée jadis au Palais des Sport lors d'une soirée Hallyday-Vince Taylor, j'ai fabriqué un petit trac qui s'appelait A la mémoire du rock. Ça m'a rapporté 300 francs, et le film, vendu à Robert Dorfmann, a obtenu 50.000 F de prime de qualité. Puis avec des chutes d'Un cœur gros comme ça, j’ai réalisé un autre court-métrage, Le petit café, qui a obtenu 80.000 F de prime à la qualité. Moi on m'a donné donné 200 F, plus une prime spéciale de 100F, parce que j'avais bien travaillé. Je ne me plains pas, j’apprenais mon métier… Reichenbach, sur ces entrefaites - on était eu juillet 1962 - m'a prêté une caméra. J'allais enfin pouvoir tourner un long métrage selon mon goût. Ce fut L'Amour à la mer”.
Comme le film était poétique, donc indéchiffrable sur scénario pour un producteur, Guy Gilles décida de tourner vingt minutes de L'Amour à la mer. Alain Delon, Jean-Claude Brialy, Simone Paris, Juliette Gréco, Sophie Daumier, Bernard Verley, Lili Bontemps jouèrent gratuitement.
“Puis me dit-il, je suis allé montrer mes rushes à Nicole Stéphane, Pierre Kalfon, Julien Derode et plusieurs autres producteurs : ils m’encouragèrent à continuer mais sans m’offrir la moindre aide”.
Et c’est finalement le directeur de la salle de projection où Gilles montrait son film qui décida de produire L’amour à la mer. Il avait si souvent revu le même passage qu’il voulait en connaître la suite.

Primé clandestinement
Réalisé à la sauvette pour 250.000 F, tantôt en noir et blanc, tantôt en couleurs, L'Amour à la mer a obtenu presque clandestinement le prix de la Jeune Critique au festival de Locarno, clandestinement parce que M.Holleaux, directeur du Centre de la Cinématographie française, avait déclaré que ce film, réalisé en dehors des normes officielles, ne pouvait représenter l'industrie cinématographique française.
L'Amour à la mer va sortir enfin. Guy Gilles, qui a maintenant vingt-cinq ans, travaille un peu pour la télévision française : “ Ça me permet de tenir le coup. Et puis (il jette un regard gêné sur son blouson de cuir élimé), je vais peut-être pouvoir m'acheter un costume ”.
Quand on vous parlera désormais des cinéastes en Cadillac, songez aussi au blouson élimé de Guy Gilles.