Guy Gilles   Cinéaste français (1938 - 1996)
Guy Gilles

" Dans tous ses films, qui sont des films d'amour et de tourment, les personnages luttent contre le mal de vivre, la fuite inexorable du temps, veulent faire de l'absolu avec de l'éphémère. Et même s'ils ne racontent pas la vie de Guy Gilles, ils sont autobiographiques; une suite de rencontres, les blessures inguérissables d'une passion récurrente. "

Jacques Siclier

Critiques

Par Roger Maria

Ceux de nos lecteurs qui ont choisi l'émission d'Hélène Martin : " Jean Genet ", ont dû se souvenir des trois articles exceptionnels que l'auteur des Paravents, avait confié à l'Humanité, en pleine campagne présidentielle, le premier pour prendre la défense des travailleurs immigrés, " ces hommes qu'on use et qu'on jette quand ils sont usés ", évoquant, entre autres problèmes, " leurs misères sexuelles ", et appuyant le Statut des immigrés, dont le projet avait été établi par le PC. Il conciliait à la faillite de Sartre devant cette responsabilité, comme dans tant d'autres domaines, Jean Genet appelant au soutien résolu du Programme commun. Dans ses autres articles, il analysait les impostures de Giscard d'Estaing, stigmatisé par lui comme le représentant maquillé de la vieille droite historique.
Ces prises de position se situaient dans la logique d'un homme qui n'oublia jamais qu'il entra " dans la vie ", né de père inconnu, abandonné par sa mère, jeté dans l'enfer d'une maison de redressement - à dix ans ! - pour un vol de gamin, épreuve qui le marqua à jamais : puis à nouveau la plongée dans l'univers carcéral, la Légion étrangère, il déserta, l'implacable enchaînement : " Je décidai (...) de poursuivre mon destin (...) à l'inverse de vous-mêmes et d'exploiter l'envers de votre beauté " (...). " Ainsi refusai-je décidément un monde qui m'avait refusé. "
Mais il fut conduit à la sublimation de ses démons par le... démon de l'écriture ("Je désire un instant porter une attention aiguë sur la réalité du suprême bonheur dans le désespoir "), par la passion de poésie et dans un style néo-classique, quasi racinien, son chant - prose et poèmes - s'éleva somptueux et " obscène ", s'il le fallait pour dire tout le vrai, du fond de l'ergastule du système pénitentiaire, et ce furent Notre-Dame-des-Fleurs, Haute surveillance, Journal du voleur, Chant secret et, à la scène (il est l'un des trois "grands" de l'après-guerre avec Beckett et Arrabal), Les Griots (anti-colonialiste, antiraciste), Les Paravents (l'opéra tragique et bouffon de la sale guerre d'Algérie).

Guy Gilles, à qui Hélène Martin a confié la réalisation de ce " Plain-Chant ", a répondu par un très beau et sensible poème télévisé, loyal aussi et même empreint de respect, à la question : Qui est Jean Genet ? Jusque dans ses outrances, selon un esthétisme plein de tact, d'allusions en images fortes, vénéneuses même, passant du visage d'ange d'un assassin " trop beau " à la bouche même, en très gros plan-couleur, de Jeanne Moreau, disant de façon pénétrante une imprécation douloureuse et tendre de Jean Genet. Guy Gilles a su restituer son vrai visage - et sa voix - au poète du Condamné à mort dans la lignée de Sade, de Rimbaud, de Lautréamont, d'Antonin Artaud. En réalité, ni poète maudit, ni saint, ni martyr : un homme de douleur et de poésie tendu vers une pathétique volonté d'amour.