Guy Gilles   Cinéaste français (1938 - 1996)
Guy Gilles

" Dans tous ses films, qui sont des films d'amour et de tourment, les personnages luttent contre le mal de vivre, la fuite inexorable du temps, veulent faire de l'absolu avec de l'éphémère. Et même s'ils ne racontent pas la vie de Guy Gilles, ils sont autobiographiques; une suite de rencontres, les blessures inguérissables d'une passion récurrente. "

Jacques Siclier

Critiques

Par Mireille Amiel

Le cinéma de Guy Gilles est essentiellement glacé. Glacé de terreur (« le désespoir est un véritable pistolet », dit ici Jeanne, l'héroïne principale), de perfection technique (la photo et le son sont absolument remarquables et d'une précision qui se fait oublier à force de soins, qui fait partie intégrante de l'écriture), d'humour (un humour « sec », utilisé avec économie et sans lequel le ton serait insupportable - ici le rôle du reporter nain de Filature par exemple).
Glacé de beauté aussi. Une beauté baudelairienne ; je veux dire par là qui a toutes les caractéristiques de la poésie baudelairienne : nocturne, hiératique, sensuelle, « réversible », dangereuse.
Mais ce cinéma délibérément travaillé jusqu'à la sophistication, poétique, est aussi un cinéma dont les références sociales sont précises, où l'argent tire les ficelles, où les situations sont saisies d'abord dans la réalité et la vraisemblance sociales, pour être ensuite (toute tentation de réalisme écartée) transcendées et transformées par l'écriture.

Dans Le Crime d'amour, par exemple, plusieurs lectures sont, non pas possibles, mais nécessaires simultanément. Ce qui a intéressé l'auteur c'est, à la fois, une réflexion sur la beauté comme handicap à la vie, une méditation sur cette réalité (maintes fois avancée, voire vérifiée) « qu'il y a dans la vie les gens qui aiment et ceux qui sont aimés », l’illustration (par un cas précis) de l'impossibilité réelle de vivre sans réaliser un amour partagé, une intrigue sinon policière du moins génératrice de suspense, et l'examen attentif, voire amoureux, d'une adolescence qui ne se réalise que dans l'affabulation, avatar de la création.
Il faudrait ajouter, au moins, la mise en scène des désirs homosexuels et des affres de la gémellité.
C'est donc d'un univers particulièrement riche qu'il est ici question et où la sensibilité, pour être sans cesse bridée, retenue, détournée par l'humour, le détachement désespéré ou quelque chose qui s'apparente à la résignation, n'en affleure pas moins, intacte, à chaque changement de plan, chaque utilisation de décor, chaque instant de nuit et de ville complices.
Les quelques maladresses du film se remarquent sur l'instant et se diluent ensuite, tant il est vrai qu'elles n'enlèvent rien à la cohérence profonde de l'histoire. Une erreur de construction à nommer peut-être, celle qui privilégie une des parties de l'histoire, le couple Macha Méril/Richard Berry au détriment de l'autre Jacques Penot/Macha Méril.
Reste que Guy Gilles choisit et dirige ses acteurs avec une maîtrise totale. Face à Richard Berry, sobre et intériorisé, dont les sourires sont tristes, les compréhensions ironiques, les émotions distanciées, un jeune acteur beau et vrai et bouleversant comme l'adolescence : Jacques Penot que Guy Gilles avait remarqué dans un feuilleton télévisé, et une étonnante Macha Méril, belle, double (elle interprète les deux rôles féminins), troublante toujours.
Un cinéma au ton neuf, indifférent aux modes et aux goûts du jour, qui trouve son originalité dans une cohésion profonde entre le senti et le filmé, dans une affirmation claire d'une personnalité et d'une éthique qui commandent une esthétique précise.

Sortie à Paris : le 24 novembre.
(source non identifiée)