Guy Gilles   Cinéaste français (1938 - 1996)
Guy Gilles

" Dans tous ses films, qui sont des films d'amour et de tourment, les personnages luttent contre le mal de vivre, la fuite inexorable du temps, veulent faire de l'absolu avec de l'éphémère. Et même s'ils ne racontent pas la vie de Guy Gilles, ils sont autobiographiques; une suite de rencontres, les blessures inguérissables d'une passion récurrente. "

Jacques Siclier

Critiques

Le Saint Sébastien de la défonce

Par Michel Flacon

Guy Gilles ou la discrétion. Ses deux prénoms ne font pas encore tout à fait un nom. Ses films passent, furtifs, avec des titres de haïkus : Au Pan coupé, Le Clair de terre. Rétracté, opiniâtre, à contre-mode, chuchote depuis dix ans le même soliloque un peu triste. Sur le mal de vieillir, les amitiés qui fanent, les souvenirs qu'on largue. Une romance couleur du temps.
Absences répétées la chantent un ton plus haut. La crise de langueur y prend les accents de la révolte : Rimbaud contre les assis. Un jeune garçon décroche brusquement : du guichet de sa banque et du train ordinaire de la vie. Il choisit de rester en repos dans sa chambre. Elle devient l'asile de sa prostration, la " roulotte " de ses voyages à l'héroïne. Il n'en émerge que pour des graffiti sur le miroir, ou pour la morne contemplation des gaietés de la Saint-Sylvestre.
Une épouse Lassée, des copains en partance, une mère qui mourra de ne pas comprendre : sur le cloîtré à la dérive se brise l'assaut des affections. A la longue, pourtant, la pesée de la solitude, l'amitié du dernier fidèle, lui rendraient le goût des autres. Mais une overdose le cloue bêtement dans les toilettes d'un bistrot. Révérence tirée à la société de consommation, paradis artificiels, fossé des générations : ce pourrait être la formule d'un mélo contestataire. Cela devient, par la grâce d'un style, méditation lyrique sur la difficulté d'être adolescent en 1972.
Le lyrisme de Guy Gilles n'a rien d'ostentatoire, ce qui le condamne par moments à la mièvrerie. Il consiste à dérober les arêtes du récit, à le résorber dans un pianotement d'images. Flashes brefs ou séquences filées s'associent librement, comme croches, silences et points d'orgue d'une rêverie musicale. Les leitmotive en sont d'une simplicité risquée. Des paysages tout près du chromo. Une fête foraine au bord du cliché. Des scènes de rues prises au vol. Des visages, surtout, butin le plus émouvant de ce cinéma du regard, saisis à vif, palpitants, piégés avec une tendresse d'écorché. Margoulins de la came, badauds extasiés devant un tango d'un autre âge : ce sont les mêmes figures d'anges. Ils ont l'apparence inflexible et veule de leurs rituels psychédéliques. Et l'ingénuité sans faille des franc-maçonneries bisexuelles. Fascinants et lointains comme Patrick Penn, le principal interprète, qui accomplit, entre les filles et les garçons, entre l'envie de vivre et l'autodestruction, le parcours somnambulique d'un saint Sébastien de la défonce.

MICHEL FLACON
Le Point
du 6 novembre 1972 (D.R.)