Guy Gilles   Cinéaste français (1938 - 1996)
Guy Gilles

" Dans tous ses films, qui sont des films d'amour et de tourment, les personnages luttent contre le mal de vivre, la fuite inexorable du temps, veulent faire de l'absolu avec de l'éphémère. Et même s'ils ne racontent pas la vie de Guy Gilles, ils sont autobiographiques; une suite de rencontres, les blessures inguérissables d'une passion récurrente. "

Jacques Siclier

Critiques

Tournage d’Au pan coupé

Par Gilbert Guez

Mais oui cela existe, un cinéma qui ne soit pas une affaire de gros sous ! Parce qu'ils ont en commun la jeunesse, la foi et l'enthousiasme, Macha Méril et le réalisateur Guy Gilles sont en train d'en donner la vivante - et, nous l'espérons, bientôt sur les écrans la mouvante - preuve en tournant Au pan coupé.
Macha Méril, il ne faut pas l'oublier, a reçu le coup d'envoi avec la Nouvelle Vague puisqu'elle a été découverte par Gérard Oury, qui lui a donné la vedette dans son premier film de réalisateur : La main chaude. Et, tour à tour, Michel Deville avec Adorable menteuse, Vadim avec Le repos du guerrier, Jean-Luc Godard avec Une femme mariée, et Raoul Levy avec L'Espion, se sont proposés de la " révéler ". Néanmoins, elle avoue : " J'ai le sentiment que Au pan coupé est mon premier film... " C'est dire l'accord qui règne entre elle et Guy Gilles.
Mais qui est Guy Gilles ? le demanderez-vous. Il a vingt-huit ans. A seize ans, il faisait les Beaux-Arts. Pendant son service militaire les samedis et dimanches, il tournait son premier court-métrage en 16 mm, : Soleil éteint, il fut le monteur de François Reichenbach pour Le petit café et A la mémoire du rock, l'opérateur pour Loué, puis Reichenbach devint le producteur du deuxième court-métrage de Guy Gilles : Melancholia. Vinrent ensuite Au biseau des baisers, Journal d'un combat et enfin son premier long-métrage : L'amour à la mer. Les vedettes de ce premier grand film étaient des presque inconnus : Geneviève Thénier et Daniel Moosman - qui le sont beaucoup moins aujourd'hui. Et pour lui, Guy Gilles s'était vu offrir la participation bénévole d'Alain Delon, de Romy Schneider, de Jean-Claude Brialy, de Juliette Greco, de Monique Lejeune, de Bernard Verley et de la chanteuse Lily Bontemps. Ce film n'est pas encore exploité commercialement, mais il a déjà eu les honneurs de plusieurs festivals et les critiques les plus exigeants ont été conquis par lui. Sollicité par la télévision pour l'émission de Roger Stéphane " Pour le plaisir ", Guy Gilles devait réaliser Le Pop Age. Connaissant la réputation de modernisme aigu de Macha Méril (ne fut-elle pas des premières à s'habiller chez Ungaro ?), il fit appel à elle. Tout se passa bien. Si bien que Gilles se met à rêver à un sujet pour elle et un jeune acteur : Patrick Jouané, qui était également dans Le Pop Age.

– « Ça m'aurait embêté que ce ne soit pas eux, me dit-il. J'ai un sujet pour Romy Schneider ; si elle ne peut pas le faire, plutôt que de le donner à une autre, j'y renoncerai. Mais je travaille en silence, et je n'appelle les gens qu'au dernier moment. Le printemps dernier, Macha et moi étions en même temps à Cannes pour le festival. Nous nous rencontrons sur la Croisette : " J'ai appris que vous êtes génial ! ", me dit-elle. Elle avait demandé à voir L'amour à la mer, et l'avait vu. -Vous allez le savoir : j'ai un sujet pour vous ! " Le surlendemain, je suis allé la voir à l'Hôtel Martinez, et je lui ai lu le sujet (elle voulait le lire elle-même, mais j'ai insisté pour le faire, moi). Elle m'a aussitôt donné son accord. Mais cela ne suffisait pas. Je n'arrivais pas à monter l'affaire. Alors, elle a trouvé un financier qui a accepté de nous faire confiance, et, pour nous permettre de mieux travailler, de fonder notre propre maison de production : la " Macha Films ". C'est extraordinaire, non ? Mais cette société, nous l'espérons, produira toutes sortes de films, même sans Guy Gilles et sans Macha Méril ! "
Le tournage a donc commencé cet été, dans le Midi, et l'équipe est à présent à Paris. L'équipe ? Ils déclarent eux-mêmes qu'ils ont l'air de beatniks. Deux voitures, le minimum de matériel, le minimum de personnes. En dehors de Guy Gilles, de Macha Méril et de Patrick Jouané, il y a Jean-Marc Ripert, le directeur de la photo; Jean-Pierre Desfosse, à la fois script, assistant metteur en scène et monteur (" comme il assiste au tournage, il a déjà tout vu, et cela va deux fois plus vite au montage ! "), Jean-Pierre Stora (ex-collaborateur de " Cinémonde ", avocat et, comme cela ne lui suffit pas...! auteur de la musique du film, ainsi que Mickey Nicolas, orchestrateur). C'était déjà l'équipe de L'Amour à la mer, et, parmi les acteurs de ce précédent film, on retrouve dans Au pan coupé Bernard Verley et la chanteuse Lily Bontemps. De plus, Guy Gilles, fidèle aux actrices un peu oubliées comme tous les cinéphiles enragés, a donné à Orane Demazis, l'interprète des films de Pagnol, le rôle de la patronne du café " Au pan coupé " et à Elina Labourdette celui d'une femme dont la raison chavire, à force de solitude...

L'histoire est celle d'un jeune couple, Jean et Jeanne. Ils se rencontrent, s'aiment, mais Jean refuse de vivre, rejette tout. Il est " différent ". C'est peut-être un fou, peut être un poète - question de mots, dangers des mots, des apparences... Le film se tourne en noir et blanc pour le présent, en couleurs pour tous les rappels du passé, et les interférences sont continues. Jean dit à Jeanne : " Je crois que, ce qui est important, ça n'est pas de découvrir, mais de retrouver ".
Et Guy Gilles dit : " La vraie liberté, dans la création, c'est de décider de filmer un cœur gravé sur un mur, même si on l'a déjà vu mille fois, de retrouver l'émotion initiale... Il faut revenir à des choses fortes, des sentiments, des situations fortes : comme dans la vie, qui est plus forte qu'on le croit. "
Cette enquête sentimentale, ce portrait d'un amour en forme de puzzle sont donc excitants à plus d'un titre, puisqu'ils nous promettent plusieurs révélations : celle de Guy Gilles auteur-réalisateur qui n'a pas peur, qui n'a pas honte d'être naïf, tendre, spontané ; celle de Macha Méril qui, après huit années d'incompréhension, triomphe puisqu'elle fait ce qu'elle veut, elle défend ce qu'elle aime (pour le tournage dans le Midi, elle a payé son avion, son séjour et, quand il s'est agi de tourner une scène dans une carcasse de voiture abandonnée dans la campagne, elle a transporté et déplacé la voiture plusieurs fois avec les garçons - qui ne s'en sont avisés que bien plus tard, tant cela était fait naturellement !!) ; celle de Patrick Jouané enfin, vingt ans tout juste, qui n'a jamais suivi de cours mais est une vraie bête de cinéma et à qui parions-le tous les jeunes vont s'identifier comme ils le firent à Dean, à Delon. Et le plus grand charme de Au pan coupé c'est que ces jeunes qui " en veulent " sont vraiment jeunes, qu'ils n'ont pas peur de l'être, qu'ils sont, même, décidés à ne pas se laisser voler leur jeunesse, inimitable!

Gilbert Guez.
Source non identifiée.