Guy Gilles   Cinéaste français (1938 - 1996)
Guy Gilles

" Dans tous ses films, qui sont des films d'amour et de tourment, les personnages luttent contre le mal de vivre, la fuite inexorable du temps, veulent faire de l'absolu avec de l'éphémère. Et même s'ils ne racontent pas la vie de Guy Gilles, ils sont autobiographiques; une suite de rencontres, les blessures inguérissables d'une passion récurrente. "

Jacques Siclier

Critiques

France Soir
Par Patrice de Nussac


PLAIN CHANT qualifiait Jean Genet de " saint, poète et martyr ".
De quoi indisposer encore plus ceux auxquels cet écrivain déplaît et qu'il irrite. Il faut pourtant se garder des préjugés.
Originale, courageuse, poétique, l'émission traduisait assez bien l'univers trouble et parallèle de Genet. Avec le choix des textes, les visages de jeunes comédiens, des images montrant un certain talent dans la recherche et l'esthétisme, il était possible de mieux connaître le voyage au bout de la nuit d'un maître pris dans la ronde infernale de ses sensations et de ses fantasmes. Masochisme, fascination pour un certain dégoût ? Entre le lyrisme et le scandale, chacun peut choisir. Les deux sont d'ailleurs souvent intimement liés. Ce qui est malsain débouche parfois sur les fleurs de la poésie avec Genet. Quel en est le parfum ? Ceci est une autre histoire.

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Télérama
Par Jacques Bertrand

Poète et martyr, Jean Genet l'a été, l'est, à plus d'un titre. De l'Assistance publique à diverses prisons, il a connu d'abord " le mauvais côté de la vie " et l'a vécu plus fortement, plus intensément que personne. Son " Combourg " ou son " Manosque " à lui, c'est - a-t-on pu dire - Fresnes ou La Santé. Jean Genet est un poète singulier dont l'univers peut déconcerter. Son œuvre est pourtant d'une sensibilité, d'une densité, d'un courage rares. Hélène Martin - experte en poésie pour avoir suffisamment vécu avec elle et pour elle depuis de longues années - dit " Aujourd'hui, je suis devant la poésie même. Elle se nomme Jean Genet. "
L'émission - dans laquelle vous retrouverez des extraits de Journal du Voleur, Notre-Dame des fleurs, Le miracle de la rose et Le condamné à mort mis en musique et chanté par Hélène Martin - est un modèle du genre. Le réalisateur Guy Gilles présente le monde de Genet en poète de l'image. Chacun est libre, bien sûr, de ne pas reconnaître exactement " son " Genet. Mais la traduction, quand elle est créatrice, n'est pas trahison. Jean Genet saint, poète et martyr est un poème sur un poète. Il n'est pas si courant que la télévision serve la poésie avec autant de finesse. L'occasion est à saisir, même au prix de quelques efforts.

Jacques BERTRAND
Télérama
(du 5 au 11 juillet 1975).D.R.

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Libération (2002)
Par Sophie Rostain

Film-poème, film-miroir où Patrick Jouané, double du cinéaste, incarne Jean Genet, mains sur les yeux, ou écrivant dans sa cellule les plus belles pages de Notre-Dame des fleurs ... Film d'amour, film agité comme un fleuve, où la phrase de Genet tour à tour flotte et s'immerge, et réapparaît et coule encore : " Abandonné par ma famille, il me semblait déjà naturel d'aggraver cela par l'amour des garçons, et l'amour des garçons par le vol, et le vol par le crime ou la complaisance du crime. Ainsi refusais-je un monde qui m'avait refusé. " Où s'éclaire l'ambition artistique de l'auteur des Bonnes : " Dorer ma honte. En faire un travail d'orfèvrerie ".

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Par Patricia Coste

• Hélène Martin a la fol. Elle croit que certaines choses sont possibles a la télévision. Et à force d'y croire, elle réussit. On se souvient, entre autres, de son " Plain-Chant " sur Kafka inscrit dans les trottoirs foulants de la Prague d'aujourd'hui, réalisé par Nat Lilenstein. On se souviendra du " Jean Genet " de ce soir et de son étonnante mise en sens de Guy Gilles.

" Quand pourrais-je enfin bondir au cœur de l'image, être moi-même la lumière qui la porte jusqu'à vos yeux? Quand serais-je au cœur de la poésie? ", dit Jean Genet dans son Journal du voleur. Peut-être un peu avec Guy Gilles, justement.

Guy Gilles, c'est un homme au cœur tellement photo-sensible qu'il a pu capter un Clair de terre, des Absences répétées, un Jardin qui bascule, pour le cinéma, sans qu'on le sache vraiment. Un homme qui connaît les lumières de la pénombre et la peau des écorchés vifs. Son travail, pour la télévision, a consisté à restituer Genet à Genet. Sans préméditation, sans interprétations, sans réajustement dans l'histoire, que cela soit celle de Genet ou la nôtre, aujourd'hui.

On connaît l'étrange chemin de plaisir de Genet : refusant un monde qui l'avait refusé, il dépouilla le vieil homme à rebours. Vols, trahisons, meurtres, homosexualités, prisons : il vécut tous les interdits pour en trouver le noyau à partir duquel l'amour peut grandir, et progressa ainsi - dans une " ascèse entre toutes, délicate " vers la sainteté, l'héroïsme, et, dit-il, le comble de l'érotisme, transcendé par la littérature.
Guy Gilles a appréhendé Genet en branchant, ensemble, des caméras le long des fils de soie enchevêtrés qui firent son cosmos, son ciel et son enfer.
Visage de Genet, projeté dans celui de cinq gouapes adolescentes, chats de gouttières ou de trottoirs, aux tapins refusés, aux rituels détournés, loulous dandys.
Amour enfermé de Genet, sous cinq feutres mous qui cachent un mit, qui se ressemblent comme des frères, avec pour monde le " milieu ", Mignon le mac et Divine, divine, et des confettis sur paysage de neige grossièrement peints, pour le temps qu'il y fait.
Et dans le dos de tout cela, le très pur amour qu'ils apprennent à se faire.

Guy Gilles " dit " Genet en frôlements, dans le toc, la sophistication, la métropole suburbaine. Il fait " lire " aussi Genet, par bribes, petit à petit, au fur et à mesure, que les mots peuvent s'emplir du poids des images, au fur et à mesure que " le poète épuise le monde ", jusqu'au moment " où l'œuvre flambe et son modèle meurt ".

"Le talent, c'est la politesse à l'égard de la matière". C'est Jean Genet qui l'a dit. Guy Gilles l'a fait. On se souviendra d'une telle rencontre.

Patricia COSTE - Ce soir, 21 h 30, Antenne 2.(source non identifiée)