" Dans tous ses films, qui sont des films d'amour et de tourment, les personnages luttent contre le mal de vivre, la fuite inexorable du temps, veulent faire de l'absolu avec de l'éphémère. Et même s'ils ne racontent pas la vie de Guy Gilles, ils sont autobiographiques; une suite de rencontres, les blessures inguérissables d'une passion récurrente. "
Jacques Siclier
Critiques
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Dans le miroir de Guy Gilles
Le prochain " Plain-chant " d'Hélène Martin sera différent des autres : original par sa forme même - Guy Gilles l'a réalisé seul ; spécial aussi à cause d'un sujet délicat à traiter. Si celui que Sartre appelait " saint Jean Genet " est toujours vivant, son œuvre, déjà, est devenue légende. Il a voulu donner un chant à ce qui était muet, dire le monde des prisons, ses habitudes réprouvées. Genet aime les voleurs, les assassins, les traîtres, tous ceux-là qui, en marge des vivants, sont de la race des condamnés à mort. Notre-Dame-des-Fleurs et Mignon appartiennent à cette dynastie d'homosexuels, mauvais garçons, voyous, souteneurs à l'occasion, que Genet nomme presque affectueusement les " macs ". Et, en parlant d'eux, il parle de lui. Il se plaint. Il essaie de se faire aimer du lecteur. L'émission d'Hélène Martin s'inspire de textes extraits du Journal du voleur, de Notre-Dame-des-Fleurs et du Miracle de la Rose.
Cette chanson du condamné à mort est mise en pages, en images, en miroir, à la télévision. Des voix récitent. L'histoire de Mignon et de Divine nous est contée en couleurs. Mignon, c'est Patrick Jouané, l'acteur des principaux films de Guy Gilles. Mignon " tombe " amoureux de Divine. La " créature " généreuse et un peu grotesque, qui hantait Montmartre la nuit - travesti de renommée - devient, dans ce film, une vraie femme, en la personne de Brigitte Ariel, toute frêle, fragile et très belle. La Divine de Guy Gilles, pathétique de pureté, lointaine, évolue complètement étrangère au monde trouble de ceux qu'elle cherche à séduire ; la fascination qu'elle exerce est peut-être un peu différente de l'attirance que ressentaient les homosexuels pour la vraie Divine, sûrement plus brutale, plus provocante, plus équivoque. Patrick Jouané et Brigitte Ariel forment, comme on dit, un " beau couple ”, conventionnel, presque romantique, convenable.
Toutes les images de ce film-livre sont ainsi esthétiques à l'extrême. Les prisonniers n'ont pas le crâne tondu, ils paraissent ne pas se sentir rejetés par la société, ni humiliés, ni déchus. On ne respire pas l'odeur de la prison, " une odeur d'urine, de formol et de peinture ". L'assassinat commis par Notre-Dame-des-Fleurs est un crime parfait, sans bavure ni laideur. Jeanne Moreau est là. C'est elle la voix de la " lecture ". Elle tient dans sa main le livre de Jean Genet. Un gros plan cruel nous montre sa bouche qui parle. Pourquoi cette apparition ? Guy Gilles veut-il expliquer aux téléspectateurs qui n'auraient pas compris qu'il s'agit d'une émission traitant de l'œuvre littéraire de Jean Genet ? Est-il vraiment misogyne ? Ou, plus simplement, a-t-il recours à un procédé déjà utilisé dans Le Jardin qui bascule ? La personnalité un peu ambiguë de la comédienne, son ton, conviennent à cette lecture télévisée, un reflet de la lecture de Guy Gilles.
M.L.B. pour Le Monde, 29-30 juin 1975.