Guy Gilles   Cinéaste français (1938 - 1996)
Guy Gilles

" Dans tous ses films, qui sont des films d'amour et de tourment, les personnages luttent contre le mal de vivre, la fuite inexorable du temps, veulent faire de l'absolu avec de l'éphémère. Et même s'ils ne racontent pas la vie de Guy Gilles, ils sont autobiographiques; une suite de rencontres, les blessures inguérissables d'une passion récurrente. "

Jacques Siclier

Critiques

Absences répétées

Par Jacques Siclier


Un garçon jeune et beau, l'air un peu perdu. Il se drogue. A la banque où il travaille, on s'en aperçoit. François Naulet perd sa place. Mais il le voulait. Enfermé dans sa chambre, il “s'absente”. La drogue, toujours, une volonté de ne plus parler, de ne plus s'expliquer, de fuir le monde. Des gens s'agitent autour de lui : parents, femme, amis. A peine s'il les voit, s'il les entend. Il s'absente. Où va-t-il ?
" La drogue, dit Guy Gilles, est un phénomène réel, propre à notre époque, et qui dramatise le film. Beaucoup de garçons et de filles cherchent dans la drogue un moyen de fermer les yeux. Et c'est pour cela que François en prend. Chez lui, le désespoir est plus fort que tout. Il n'a que le dégoût de ne pas pouvoir vivre la vie qu'il rêve. Français se réfugie dans le silence et marche vers la mort. "
Absences répétées est le quatrième long métrage de Guy Gilles (trente-deux ans). Il ne faut pas s'étonner d'y trouver un certain romantisme lié â l'état d'adolescence et à la nostalgie du passé.
“J'ai la nostalgie du passé parce que le passé c'est vécu, fini. J'ai horreur de la vieillesse. Tous mes films sont liés à l’idée du temps, ce qui est le propre des gens qui pensent beaucoup au suicide. Je crois qu'on se suicide par amour de la vie, parce que l'idée que l'on doit forcément mourir conduit au désespoir et à la fascination de la mort.”
Mais, pour la première fois, Guy Gilles traite ouvertement un thème resté sous-jacent dans ses films précédents : celui de l'amour homosexuel.
“ Dans Absences répétées, l'amour ne se manifeste pas différemment, qu'il s'agisse d'un être de son propre sexe ou du sexe différent. Je crois qu'il faut attendre certains moments pour exprimer des idées comme celle-là. Pas tellement par rapport aux autres mais par rapport à soit-même. Si Proust écrivait aujourd'hui, il oserait appeler Albertine Albert."
Drogue, homosexualité, ce n'est pas l'essentiel. L'amour même librement réalisé en dehors des notions de " normal " et d' “anormal”, n'est pas un élément suffisant pour retenir François, amateur d'absolu auquel Patrick Penn prête un visage douloureusement fermé. Du désespoir à la mort, le film suit l'itinéraire d'une autodestruction. “ Je croyais que la vie était un poème”, écrit Français dans son journal intime. Elle ne l'est pas et François devance la mort. Mais les images de Guy Gilles écrivent sur des nuits blêmes des bribes de l'impossible poème. La vie extérieure de François est en noir et blanc, les fantasmes sont en couleurs. Cartes postales manipulées, comme toujours chez Guy Gilles, pour " visualiser " les traces et les cendres du temps, objets démodés, chanson tendre, clocharde grotesquement fardée, pluie qui évoque les larmes, jeunes gens complices qui contemplent, derrière une vitre, le spectacle dérisoire d'un bal populaire. L'érotitme passe par de fiévreuses visions sentimentales, une exigence de pureté. Dans une " soirée " où Pierre Bertin promène la carcasse desséchée de l'homosexualité mondaine et ostentatoire, Français revoit, une dernière fois, les fantômes de sa vie, avant de s'absenter définitivement.
On peut être irrité par quelques rappels d'une “poésie de cinéma” chère à Cocteau. Au-delà d'un certain maniérisme, Guy Gilles utilise la caméra d'une manière étonnante. “Le travail du cinéaste, dit-il encore, se fait entre les formes et l’œil. Réaliser un film, c'est comme sculpter dans l' espace”. Et c'est pourquoi il tient toujours la caméra lui-même. Il faut voir Absences répétées, tout malentendu dissipé à propos du sujet, comme une création plastique fortement originale en ce qu'elle s'oppose à cette technique du récit bien fabriqué, actuellement pratiqué par la plupart des réalisateurs français.

Jacques Siclier, Le Monde, D.R.