" Dans tous ses films, qui sont des films d'amour et de tourment, les personnages luttent contre le mal de vivre, la fuite inexorable du temps, veulent faire de l'absolu avec de l'éphémère. Et même s'ils ne racontent pas la vie de Guy Gilles, ils sont autobiographiques; une suite de rencontres, les blessures inguérissables d'une passion récurrente. "
Jacques Siclier
Critiques
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Le Partant
Le clair de terre
Proust, l'art et la douleur
Absences répétées
Le Jardin qui bascule
Saint, martyr et poète
La Vie Filmée
La loterie de la vie
Le Crime d'amour
Un garçon de France
Nuit Docile
Autour de Proust
Par Jacques Siclier
Deux émissions sont programmées cette semaine dans le cadre de " L'année Proust " : " La société du temps de Marcel Proust ", dans la série " Les chemins de l'histoire " (lundi 14 juin, 1ère chaîne), où sera évoqué le " grand Monde " du faubourg Saint-Germain à la Belle Epoque, qui inspira à l'écrivain certains de ses personnages, et Proust, l'art et la douleur (jeudi 17 juin, 1ère chaîne). Rappelons que Roger Stéphane et Roland Darbois avaient, en 1961, réalisé un " Portrait-souvenir de Marcel Proust ", remarquable évocation à travers des témoignages, dont la rediffusion s'imposerait aujourd'hui.
Proust : l'art et la douleur, émission réalisée par Guy Gilles, et que nous avons pu voir en projection privée, doit être particulièrement recommandée, car elle sort des sentiers battus de l'homme de circonstance. Il y a quelques années, Guy Gilles, jeune réalisateur débutant, avait tourné, pour un magazine de Roger Stéphane justement, un court reportage à Illiers, où le notaire, Pierre Larcher, a préservé la maison de tante Léonie. Illiers, c'est le Combray de " A la recherche du temps perdu ", et Marcel Proust enfant y passait ses vacances. Roger Stéphane encouragea Guy Gilles à étoffer ce reportage. Ainsi est né un extrait extrêmement personnel, qui emprunte les chemins de la rêverie et de l'imagination à travers un personnage-miroir.
A Venise, en 1971, un jeune homme (Patrick Jouané, interprète de Guy Gilles au cinéma dans Clair de terre) se promène et pense à Marcel Proust. Il se revoit à Illiers, où il était allé visiter la maison de tante Léonie, puis à Montfort-L'Amaury, où il avait retrouvé Céleste Albaret, la célébre gouvernante de Proust, devenue gardienne de la maison-musée de Maurice Ravel. Les témoignages sur Proust ne sont donc ici que des moments " documentaires " dans une méditation qui se fait dans la tête de Patrick Jouané, et autour de lui. L'image de ce jeune homme, que l'on voit à diverses périodes de sa vie, selon les étapes du tournage, se confond avec celle du " petit Marcel ", adolescent retrouvé sur les plages de Normandie, et dans cette Venise hivernale qui est un peu la madeleine trempée dans la tasse de thé, déclenchant le mécanisme du souvenir. Patrick Jouané, en pèlerinage sentimental, devient le jeune Proust à la recherche de lui-même.
Lorsque Guy Gilles fait référence à l'œuvre littéraire (dont la voix d'Emmanuelle Riva lit quelques extraits), c'est toujours à partir des impressions, des émotions, des sentiments qu'elle éveille en lui. Le thème de la douleur (la maladie de Proust) vient se joindre aux thèmes du passé, de la mort et du souvenir déjà développés avec une profonde sensibilité dans l'enquête sur une femme inconnue, à partir de cartes postales et de carnets de notes, que Guy Gilles avait présentée à la télévision, en avril 1969, dans " Choses vues " sous le titre Vie retrouvée. Il faut insister sur le fait que Guy Gilles ne se comporte pas, à propos de Marcel Proust, en journaliste ou en exégète. Dans les images souvent allusives et étrangement fascinantes de ce reportage lyrique, il fait passer ses propres obsessions. La dernière partie, traversée par le fantôme d'Albertine, et où le temps défile à l'envers, est d'ailleurs la plus subjective de cette œuvre de télévision " à la première personne ".
21h20, première chaîne. Le Monde, Jeudi 17 juin 1972 (D.R.)