" Dans tous ses films, qui sont des films d'amour et de tourment, les personnages luttent contre le mal de vivre, la fuite inexorable du temps, veulent faire de l'absolu avec de l'éphémère. Et même s'ils ne racontent pas la vie de Guy Gilles, ils sont autobiographiques; une suite de rencontres, les blessures inguérissables d'une passion récurrente. "
Jacques Siclier
Critiques
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Une femme, très jeune encore, mais gravement blessée par l'amour, se souvient, ne cesse de se souvenir... Elle vit avec le fantôme du garçon qu'elle aimait et qui, un jour, brusquement, a disparu. Ce que ce garçon est devenu, elle l'ignore, mais, nous, nous le savons : il est mort, ou, plus exactement, il s'est laissé mourir, parce que le monde était trop différent de ce qu'il voulait qu'il fût. Et elle, l'inconsolée, l'inconsolable, dépérit lentement en feuilletant l'album de sa mémoire.
Nous voilà en plein romantisme. Chez le garçon : difficulté d'être, besoin d'absolu, refus de tout " contact " social et même, dans le cadre de la société, de ce qui pourrait ressembler au bonheur ; tentation permanente de fuir ailleurs, vers autre chose ; secret désir d'autodestruction... Et chez la jeune femme : sublimation de l'amour, fidélité intransigeante à l'absent, désespoir accepté et entretenu par l'évocation continuelle du passé.
Ce romantisme, Guy Gilles, réalisateur d'Au pan coupé, ne l'a pas exprimé dans le style agressif qui est tellement à la mode aujourd'hui. On ne saurait imaginer récit plus discret, plus pudique, plus retenu que le sien. Qu'il s'agisse des séquences décrivant le présent (et tournées en noir et blanc) ou celles, colorées, qui rappellent le temps du bonheur, toute l'histoire de Jeanne et de Jean nous est montrée à travers le filtre délicat de la mélancolie. Nul érotisme (ces amoureux passionnés, à peine si nous les voyons se prendre la main), nulle fureur de vivre ou de mourir, nul exhibitionnisme dans Au pan coupé. Mais le calme, l'évidence, la sourde musique des sentiments profonds.
A cette musique nous sommes sensibles. Comme nous sommes sensibles au charme de Macha Méril et à la jeunesse de Patrick Jouané. Un film ne se donne ni dans la provocation gratuite ni dans la fausse poésie, l'événement est trop rare pour que nous ne pardonnions pas à ce film ses naïvetés et, par moments ses joliesses inutiles. Même si Au pan coupé n'est guère plus qu'une romance, Guy Gilles apparaît comme un réalisateur à " suivre ".
J.B.
Le Monde, février 1968