" Dans tous ses films, qui sont des films d'amour et de tourment, les personnages luttent contre le mal de vivre, la fuite inexorable du temps, veulent faire de l'absolu avec de l'éphémère. Et même s'ils ne racontent pas la vie de Guy Gilles, ils sont autobiographiques; une suite de rencontres, les blessures inguérissables d'une passion récurrente. "
Jacques Siclier
Critiques
Soleil éteint
Au biseau des baisers
L'Amour à la mer
Pop Age
Au Pan Coupé
Vie Retrouvée
Le Partant
Le clair de terre
Proust, l'art et la douleur
Absences répétées
Le Jardin qui bascule
Saint, martyr et poète
La Vie Filmée
La loterie de la vie
Le Crime d'amour
Un garçon de France
Nuit Docile
Deux textes sur Le Clair de terre, écrits à l'occasion du Festival Guy Gilles à l'Escurial, 1980.
UN COUP AU COEUR
Le Clair de Terre, c'est une histoire d'amour qui commence par un coup de foudre. Il y a dix ans, une heure et demie de sourire au coin des lèvres et de larme suspendue au coin de l'oeil, un vrai moment de bonheur. Coup de foudre pour Patrick Jouané, son côté chat, son sourire malicieux, son amusement de tout, ses rides déjà dessinées sur le front, sa fragilité, sa grâce, sa force, sa fierté sauvage et sa douceur. Coup de foudre pour Edwige Feuillère, grande dame toujours triste à la voix émue au bord des larmes et au bord du rire gai qui, d'un coup d'éventail et d'un mouvement de tête, chasse la pesanteur de la tristesse. Film nostalgique, film sur la mélancolie, le temps qui passe, « qu'on rit, qu'on pleure, les lilas meurent, le couple demeure ».
Film mémoire, film regard, film chanson avec ses rengaines qui renferment une époque et nous transportent dans d'autres temps. Film Proustien où l'on recherche le temps perdu, où les voyages se passent dans le temps de Guy Gilles. Errances, rencontres pleines de tendresse, les gens parlent, racontent des histoires, on les écoute ravis, redevenus petits enfants aux genoux joints, assis sur une chaise basse, la bouche et les yeux ronds. On attend et c'est toujours de l'amour qui jaillit, il jaillit de ces femmes douloureuses qui ont connu la mort de ceux qu'elles aimaient et qui ont aussi trouvé la paix, la douceur et dont chaque geste est un don de tendresse. Femmes qui parlent de la mort, qui racontent sans honte tout, comment on peut se sentir trahi à rester vivant et puis comment on peut revivre en regardant Bonnard ou la mer bleue et blanche. La boule dans la gorge monte et puis on avale vite sa salive car le monde est drôle aussi. Les femmes vivent souvent seules dans des maisons trop grandes, souriantes de leurs souvenirs, elles attendent les voyageurs qui s'arrêtent un moment.
Femmes-mémoire, femmes-fidèles, la fidélité, c'est le retour au pays où la mère est enterrée, et puis retour à Paris au plus vieux quartier de Paris. Dernière image de Pierre, rajeuni de son voyage par la coupe de cheveux automnale, Pierre s'éloigne sous les arcades de la Place des Vosges, jardin clos comme le Paradis; le film est bouclé, même image, même discours sur les vieilles pierres et puis pour que nous ne soyons trop tristes. On a mis à suivre avec des lettres couleurs bonbon qui s'éclairent sur l'écran noir et puis parce que c'est difficile de quitter les gens surtout quand on les aime dès la première rencontre il y a encore sur l'écran tout noir le temps d'une chanson pour nous permettre de regagner en douceur le monde présent.
Jacqueline S.
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L’AUTRE RIVE.
Un film perdu, comme on dit du temps perdu, du temps gagné. Un film perdu hors intrigue, il n'intrigue pas, il dévoile le regard de la pierre inerte, il fait entendre sa voix profonde, celle en bronze du génie de la Bastille qui, dans sa fixité, crie « partir ». En liberté médusée, la pierre est tragiquement vouée au voyage du temps.
Pierre se sauve en courant, il se jette en larmes sur l'autre rive parce qu'une chanson l'a bouleversé. C'est le pont entre avant et maintenant qui fait pleurer, la réminiscence insupportable parce que la réalité du souvenir c'est la mort. Ça n'est plus.
Il se sauve comme un crabe en passant par le nord pour aller vers le sud et de ce détour pour la première fois il parle. Elle a perdu l'homme qu'elle aimait: « tu sais, d'abord on ne voudrait jamais s'arrêter de souffrir, c'est comme une trahison ». Elle raconte comment la peinture de Bonnard a servi de pont entre la réalité de la mort et son souvenir, comment la mort éternise l'être aimé dans une métaphore. « Si la vie nous sépare, le souvenir du temps où nous nous connûmes durera ».
Entre rester et partir, entre le vertige immobile des petits pieds de Mozart et le vertige des espaces balayés du vent du large, il y aurait un pont que Pierre essaie de franchir
Ce pont est une vrille.
« En Tunisie », « Le retour aux origines », « Non il y a le soleil et la mer ». Laquelle?
La mer ne nous sépare pas de nos origines. Il y a toujours un pont entre ici-maintenant et la mère.
Edwige Feuillère, Simone Larivière est toutes les mères, un cliché de mère.
En Tunisie c'est le film de la rivière et de la pierre, l'histoire de cette lente caresse, de cette lente usure. Simone Larivière coule, déracinée, elle surplombe la mer en son bord sans s'y jeter. Il apprend que la jeune fille qu'il avait quittée légèrement, dans une confusion de « à plus tard », dans longtemps « je ne sais pas », s'est noyée. Il retourne à Paris comme inconsciemment fidèle à l'appel de la mort et repart encore, de femme morte en femme portant la trace de la mort.
On nait avec un inconscient déjà coupable qui fonctionne déjà tout de suite avec à la fois oui et non, avec je garde et je perds.
C'est comme ça qu'ils se promènent dans Paris, un Paris livre. C'est comme ça qu'ils errent dans le monde avec des têtes de pierre tendre et ils sont le sable et le vent, les eucalyptus et le vent Ils sont mal nés, ils n'ont pas trahi, pas détourné leur regard de vers la mère; ils en ont fait le monde, ils la regardent en s'éloignant à la dérive, la distance, c'est le temps qui abîme cette image que fixe le regard mais qui la représente à tout moment déplacée, dédoublée, confondue, évoquée, à chaque fois comme une blessure parce qu'à chaque fois comme à la naissance l'éclat que je suppose de la lumière.
Et de l'image aux autres-mêmes, ils oublient, ils se souviennent, superposent, déforment.
Vincent M.