" Dans tous ses films, qui sont des films d'amour et de tourment, les personnages luttent contre le mal de vivre, la fuite inexorable du temps, veulent faire de l'absolu avec de l'éphémère. Et même s'ils ne racontent pas la vie de Guy Gilles, ils sont autobiographiques; une suite de rencontres, les blessures inguérissables d'une passion récurrente. "
Jacques Siclier
Critiques
Soleil éteint
Au biseau des baisers
L'Amour à la mer
Pop Age
Au Pan Coupé
Vie Retrouvée
Le Partant
Le clair de terre
Proust, l'art et la douleur
Absences répétées
Le Jardin qui bascule
Saint, martyr et poète
La Vie Filmée
La loterie de la vie
Le Crime d'amour
Un garçon de France
Nuit Docile
Deux textes tirés l'un de "L'Humanité", l'autre de "L'Humanité Dimanche"
Un jeune Proust
Par Albert Cervoni
Guy Gilles était déjà connu pour des essais qui n'avaient pas été de totales réussites mais qui déjà signalaient une sensibilité très aiguë presque une hypersensibilité, à vif et discrète à la fois, et une grande personnalité plastique, Au pan coupé, en particulier, son premier long métrage, pour ne pas être totalement dominé, pour être même presque écrasé par un certain esthétisme, laissait bien entrevoir qu'on ne pouvait être indifférent à l'arrivée de ce jeune auteur qui avait quelque chose à dire parce qu'il ressentait, très intensément, quelque chose.
Avec Le Clair de terre nous avons soudain l'impression que ce que Guy Gilles entendait faire il arrive maintenant à le faire, il arrive à le dire et à le " faire passer ". Le Clair de terre c'est le film du retour aux sources, pour Guy Gilles le film du retour à la Tunisie en même temps que le film du retour aux souvenirs de l'enfance, à ce qui reste, et qui s'est transformé, de l'univers qui fut celui de l'enfance. Nous partons de la place des Vosges, du quartier du Marais où un jeune garçon vit avec son père, enfoncé, replié dans ses souvenirs et nous accompagnons le jeune homme à Tunis, dans la campagne tunisienne. La fameuse Madeleine de Proust ce sera pour Guy Gilles (et son personnage) telle porte aux vitres colorées, telle maison aux murs blancs, aux peintures bleues dans cet équilibre vibrant qui distingue l'architecture tunisienne, ce sera un retour dans le petit train à voie étroite que l'on prend pour aller de Tunis à Carthage. Ce sera aussi la rencontre d'une amie des parents, cette institutrice à la retraite qui n'a pu se résigner à quitter le pays où elle a été heureuse et qui collectionne les cadeaux de ses anciens élèves, chez qui il y a un lustre terriblement démodé, très “modern style”. Ce sera cette famille européenne restée là-bas elle aussi et chez qui le garçon va passer une journée. De la musique, une chanson, le frémissement des feuilles dans le vent alors que l'on ressent presque physiquement que le temps fraîchit. La beauté du film réside avant tout dans la sincérité avec laquelle l'auteur joue son pari jusqu'au bout ; il ne triche pas, il ne dissimule pas son émotion devant ces portes aux vitres colorées, devant cette architecture blanche et bleue, devant ce petit train, devant ce lustre démodé, deant cette vieille amie à laquelle Edwige Feuillère prête toutes les vibrations d'un jeu sensible et intelligent. Il insiste, il s'éternise et c'est son insistance même qui nous atteint, qui nous émeut à notre tour d'être aussi avouée parce que tellement ressentie.
Et en correspondance, presque marginale, il y à l'écho au retour à Paris d'une jeune fille morte, d'un amour perdu, d'un gâchis, un écho à peine suggéré, à peine chuchoté mais dont la présence n'en est que plus forte. Une autre douleur, un autre regret.
Le clair de terre a jusqu'aux maladresses de la sincérité. C'est bien pourquoi, je crois, Le clair de terre est moins un film à admirer - il n'y prétend pas - qu'un film à “aimer” car en définitive c'est un très beau geste d'amour pour un pays, pour des objets, pour des êtres aimés, un très beau film intimiste.
Albert CERVONI
L'humanité, D.R.
Est-il important d'être «pied-noir »?
Par Samuel Lachize
C'est avec une certaine joie que, membre du jury du dernier festival de Hyères, j'ai couronné avec mes confrères et consoeurs, le film de Guy Gilles : Le clair de terre. Ici encore, comme pour celui de Jean-Daniel Simon dont je parle plus haut, c' et une démarche hors des sentiers battus, et par là absolument méritoire. Toutefois, ce qui m'inquiète, c'est de voir cette jeunesse nostalgique d'un passé qui lui échappe. Toute l'histoire du Clair de terre se déroule à l'envers. Le héros remonte aux sources de son existence antérieure. De la place des Vosges où il demeure, il part pour la Tunisie où il vécut à peine, étant encore enfant... Il veut absolument être un déraciné : “Moi mon fils, j 'suis un hôme de nulle part”, fait-il dire à son héros imitant l'accent de " Bab el-Oued " du temps de la colonisation.
Du vent, et c'est surtout le vent qui emplit l'écran de ses accents déchirants. Autour du vent quelques recherches d'amours de toutes sortes, dont certaines s'avouent à peine.
Les jeunes s'ennuient-ils tellement qu'ils voudraient déjà se voir autres que ce qu'ils pourraient être dans l'avenir ? Le retour du garçon à Paris n'ouvre aucune porte sur l'avenir. Déjà résigné, hélas! Guy Gilles n'en est pas moins un poète de l'écran, un peintre impressionniste, un amoureux romantique. Tout espoir n'est pas perdu.
Samuel Lachize
L'humanité Dimanche n°297- D.R.