Guy Gilles   Cinéaste français (1938 - 1996)
Guy Gilles

" De la place de l'Europe partaient encore d'autres rues qui promettaient des voyages. On pouvait faire le tour du monde avec le nom de tous ces pays et de toutes ces villes. Souvent, des promeneurs désœuvrés s'arrêtaient à la grille qui donnait sur la voie ferrée. Un enfant rêveur comptait les trains qui passent. "

 

Guy Gilles, extrait de L'été recule, roman (inédit).

Témoignages

Entretien avec Henry Chapier
A propos du film de Guy Gilles, "Festivals 1966 Cinéma 1967"

Descriptif du film

Jean-Luc Godard et Henry Chapier
dans "Festivals 1966 Cinéma 1967"

Documentaire (57’) Emission de Roger Stéphane et Roland Darbois, Pour le plaisir, Numéro Spécial consacré au cinéma, 4 mai 1967. Journaliste : Henry Chapier. Montage : Jean-Pierre Desfosse. Avec la collaboration de Lucienne Enrico, Raymond Portalier et Adrien Maben. Ainsi que de Daniel Bellanger, Jacques Kargayan, Roger Ripp et Hélène Valayre.

Carton introductif : " Nous sommes au début de la saison des festivals de cinéma : Hyères, Cannes, Venise… Ces festivals ont été créés pour montrer que le cinéma est un art. L’année dernière, à l’occasion de leur déroulement, Guy Gilles, Henry Chapier et Jean-Pierre Desfosse ont pu rencontrer quelques-uns de ceux qui incarnent l’effort du cinéma français. Nous leur donnons la parole aujourd’hui car il nous a paru que les problèmes qu’ils évoquent ne changent pas d’une année sur l’autre ".
Voix off : " Pour le plaisir du cinéma, notre journal à plusieurs voix commence à Hyères au début de l’été, et passant par Cannes se termine à Venise. Dans ces images cueillies nous avons interrogé les paysages que nous aimons et surtout beaucoup de visages. Pas ceux que l’actualité commande mais les autres, qui aident le cinéma à devenir comme nous le souhaitons un art qui résiste à l’industrie, un moyen d’évasion et de provocation, un véhicule de poésie pour dénoncer le quotidien, nous mieux connaître nous-même et découvrir les autres ".

 

Témoignage d'Henry Chapier

Comment avez-vous rencontré Guy Gilles ?
Dans Combat je prenais position en faveur des jeunes et des découvertes, et il m'avait invité, je crois, à l'une de ses projections. C'était un court-métrage, Au biseau des baisers. Il y a eu aussitôt des affinités électives, un coup de foudre amical.

D'où vient l'idée du film?
Ça vient de moi. J'avais d'abord été jury pour le festival d'Hyères. Les festivals de cinéma à l'époque, c'était vraiment la vie, c'étaient nos vies, rien à voir avec l'industrie et la société de consommation actuelles. C'était un peu ma période de gloire, c'est là que mon image de critique frondeur a émergé, par mes compte-rendus, leur ton, leur liberté. C'est moi qui ai convaincu Guy de le réaliser. Nous avions collaboré peu avant sur un reportage, Un jeune peintre de 87 ans, qui était une interview de Léopold Survage. À l'époque, Guy était axé « très cinéma pur », la télévision étant considérée dans nos milieux avec un certain mépris. Je lui ai expliqué que puisqu'on avait carte blanche, grâce à Roger Stéphane, on pouvait le faire comme un film, de notre point de vue : la passion du cinéma. Et Guy a dit OK. Et de fait c'est conçu et réalisé comme un film et non comme une émission de reportage. C'est une écriture de cinéma à la télévision. C'est ça qu'on voulait. Il n'y avait pas le formatage actuel.

Guy Gilles avec J.P. Leaud et Jean-Louis Comolli dans "Festivals 1966 Cinéma 1967"

Guy avait tourné pour Roger Stéphane un reportage, "Pop age", qui s'était fait éreinter par la presse. Cela ne l'a pas empêché de lui renouveler sa confiance ?
Pas du tout! Roger Stéphane était une personnalité dans le pays. C'était un bel écrivain qui connaissait tout le monde, Gide, Cocteau et notamment Malraux - celui-ci avait une immense admiration pour lui. En 1966 la télévision publique a cherché à rendre, toutes les disciplines artistiques et culturelles, accessibles au grand nombre. De là est né le concept de Pour le plaisir, qui brassait à la fois le cinéma, la peinture, la littérature, la mode, etc... Mais ce n'était pas sectorisé : on pouvait proposer un sujet couvrant tout un numéro.

Comment s'est passé le tournage ?
On était une toute petite équipe. Il y avait essentiellement Guy à la caméra, moi qui posais les questions, et Jean-Pierre Desfosse, le monteur des films de Guy, qui prenait le son ou parfois la caméra, comme assistant de Guy. Il était très ami avec Patrick Jouané, qui nous accompagnait aussi. C'étaient comme des satellites autour du soleil Guy. On ne fonctionnait pas comme une équipe technique mais plutôt comme une "tribu affective", comme une famille.
Au niveau des entretiens, je n'ai jamais rien préparé de façon bureaucratique… je fonçais sur les gens! Je les connaissais bien, et j'étais tellement dans le monde de celui que j'interviewais que je n'avais pas besoin d'une immense préparation. Et puis comment voulez-vous prendre rendez-vous avec Godard?.. Au fond, on les draguait, c'est ça, on draguait les réalisateurs pour qu'ils acceptent de parler et de répondre à nos questions!

"Festivals 1966 Cinéma 1967"

Comment se répartissait le travail avec Guy Gilles ?
Nous étions très complices avec Guy. Moi je ne m'occupais pas de l'image, et de même il me laissait la responsabilité des questions. Car au fond nous avions les mêmes : en particulier sur les acteurs, c'est quand même une question qui était cruciale par rapport à la Nouvelle Vague. On n'était pas des copains de tournage mais des amis. Je n'ai jamais retrouvé cette complémentarité-là dans mon travail après. C'est un problème de sensibilité, c'est tout.
Par contre pour ce qui est des passages avec les jeunes garçons, c'était plutôt son truc à lui. Moi j'avais peur du micro-trottoir, je l'avais prévenu : "ils vont dire des conneries, tu vas devoir les jeter". Il disait que non… et puis il pensait qu'il trouverait ainsi, qui sait, un autre Patrick Jouané, ou du moins d'autres acteurs valables pour des projets futurs. C'était un "casting de l'inconscient"! Moi c'est vrai que j'ai eu des amis que me disaient "c'est trop obsessionnel, c'est homo", mais pour Guy c'était de l'ordre d'une licence poétique, il assumait ça et il ne mettait pas une feuille de vigne… En tout cas ce n'était pas fait en tant que provoc', et avec Roger Stéphane ça passait, c'était une circonstance particulière.
Toutefois, une fois à la caméra, Guy était quelqu'un de très méthodique.

Avez-vous des souvenirs du montage?
J'y passais de temps en temps. Guy était particulièrement doué pour ça : Reichenbach a souvent fait des images plus belles que Guy, mais il n'était pas capable de les valoriser au montage. On se retrouvait dans la salle de montage Antégor, où travaillait Reichenbach et Frédéric Rossif. Celui-ci nous disait "attention, on ne peut monter que ce que l'on a tourné "! Les images de Guy étaient moins spectaculaires que celles de Reichenbach - par exemple sur le Mexique - mais ça marchait, il pouvait trouver une épine dorsale.

La séquence avec Louise de Vilmorin est un peu longue… et Venise est annoncée alors qu'on ne la verra jamais !
Pour Vilmorin il y a deux choses. D'abord elle était une égérie de Malraux, donc peut-être que vis-à-vis de Roger Stéphane il y eu une complaisance de circonstance. Mais surtout Guy était fasciné par elle, comme il était fasciné par toutes ces femmes excentriques, particulières. Quant à Venise, nous n'y avons effectivement jamais été : ou bien il y a eu des problèmes d'autorisation ou de coût, ou bien Guy a dû repartir à ce moment-là sur des projets à lui.

Est-ce que cette expérience a nourri votre passage à la réalisation, deux ans plus tard, avec "L'été américain" ?
D'une certaine façon, dans la mesure où ce que j'ai tenté de faire, on pourrait appeler ça du reportage romancé… C'était un film sur tout ce qui c'était passé durant l'été 69, avec les hippies, les campus. Ça partait d'une réalité mais je ne filmais pas comme pour le JT ! J'avais conservé le côté petite équipe et c'est grâce à ça qu'on a pu filmer, sans qu'ils se doutent qui l'on était, les entraînements militaires des Black Panthers.

Quelles ont été vos relations avec Guy Gilles par la suite ?
J'ai soutenu dans Combat (donc jusqu'en 1974) tous les films de Guy. Particulièrement pour Au Pan coupé, qui est sorti juste après : j'ai fait un papier "avant-première", une interview de Guy et une critique du film! Combat était un journal d'opinion qui ne vendait pas énormément face aux autres, mais tous les décideurs le lisaient. C'est pour ça que c'était important. Et mes articles étaient placardés aux devantures des cinémas, car on savait que je ne m'étais pas fait acheter par la publicité. J'ai aidé Guy même dans ses relations avec les salles qui passaient ses films, je connaissais très bien tout le réseau art et essai, les Ursulines, le Racine. Ce n'était pas mon rôle mais je l'ai fait longtemps, y compris pour Accatone, de Pasolini, dont j'ai ramené les bobines sous les bras avec Pierre Kalfon. C'était par passion.
On ne s'est jamais vraiment perdu de vue avec Guy. Même si les dernières années, il s'était un peu retiré; il était très discret sur sa maladie, il ne voulait pas en parler. Aujourd'hui j'essaie de profiter des opportunités de l'actualité pour parler de lui sur Nova ou France 3, pour les jeunes générations. Enfin vu ce qu'est devenue la télévision aujourd'hui, Guy n'aurait jamais pu continuer comme ça…

Propos recueillis par Gaël Lépingle le 27 décembre 2004.