" De la place de l'Europe partaient encore d'autres rues qui promettaient des voyages. On pouvait faire le tour du monde avec le nom de tous ces pays et de toutes ces villes. Souvent, des promeneurs désœuvrés s'arrêtaient à la grille qui donnait sur la voie ferrée. Un enfant rêveur comptait les trains qui passent. "
Guy Gilles, extrait de L'été recule, roman (inédit).
Ecrits personnels
Ecrits
Une vision plastique du monde
(sur le cinéma)
Par Guy Gilles (écrit vers 1967)
Guy Gilles dans "Soleil éteint" - 1958
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Je suis tombé amoureux d’Henri Langlois, le Directeur de notre Cinémathèque, le jour où je l’ai entendu affirmer à Henry Chapier, qui l’interviewait pour la Télévision Française, que le cinéma était, il ne fallait jamais l’oublier, avant tout un art plastique.
De grands créateurs comme Eisenstein, Murnau ou Stroheim avaient ouvert sur cette voie de magnifiques portes et, excepté Hitchcock et quelques autres, avec leur disparition ces chemins ont été désertés.
Je pense qu’il est pourtant impossible de traduire par d’autres moyens que l’image et la plastique, la poésie cinématographique, au sens wellesien du mot : « la caméra est un œil dans la tête du poète ».
Ni peinture, ni littérature, ni apparenté à aucun autre art existant, le cinématographe est une vision plastique du monde – ceci n’ayant aucun rapport avec l’esthétisme, car s’il m’est impossible de faire ne serait-ce qu’un plan, d’une façon autre que celle qui correspond à ma vision plastique de toute chose, il m’est de la même façon et avant tout, bien entendu impossible de filmer un sentiment, une idée, qui soient en opposition avec mes convictions politiques ou avec mon cœur.
Une fleur, un mur, une rue ou le visage de Greta Garbo sont, je crois, également « véhicules » de poésie et sources d’émotions. Tout dépend du regard posé sur eux.
Auteur de mes films, j’en assume totalement la responsabilité. Je crois à l’importance de chaque détail, plan aussi bien que mot, cadrage aussi bien que son, décors, choix des acteurs, musique .
Plus que le titre de metteur en scène, j’aimerais celui inventé par Sternberg de « metteur en ordre ». Un véritable auteur de film est responsable de chaque chose, dont il doit bien entendu avoir la connaissance profonde. C’est la raison pour laquelle j’ai voulu être capable d’être mon propre caméraman, mon propre directeur de la photographie et j’aimerais, comme Chaplin, savoir écrire la musique de mes films.
Je crois qu’un créateur de films doit avoir une idée et la science de chaque élément du film : scénario, dialogue, image, découpage (son, mots, bruits et musiques) montage.
(Resnais, Bresson, Melville ou Godard par exemple).
Le reste étant comme le dit François Truffaut une question d’équilibre à trouver, de dosage de tous les éléments et, enfin, de ce quelque chose d’inexplicable qui fait le mystère et la beauté du cinématographe.
A partir de là, si je suis très strict avec moi-même, je suis au contraire très libre et très ouvert face au travail des autres hommes de cinéma. On peut, comme le dit encore François Truffaut, dessiner ses plans comme Eisenstein ou Hitchcock, ou bien tourner en 16mm et en couleurs avec une caméra délirante comme certains jeunes cinéastes américains, l’important est le film. Un beau film est un beau film.
Depuis mon premier court-métrage en 16mm et en noir et blanc, Soleil éteint, jusqu’au Pan Coupé, comme dans les émissions de télévision que j’ai réalisées pour mon ami Roger Stéphane, il n’y a pas une seule idée ou une image que je n’ai tournée selon mon cœur. Pour reprendre le bel article de Sylvain Godet (à propos d’un film de Rouch), je crois aussi qu’il faut dans ce dur et beau métier de cinéma « gagner le droit de filmer le coucher du soleil ou le lever du jour », et j’essaierai de le mériter, et de faire oublier ceux qui sont du côté des chromos…
Le lever du jour et le coucher du soleil, ces enchantements, sont le cœur de la nature qui bat, et la trace du temps.