" De la place de l'Europe partaient encore d'autres rues qui promettaient des voyages. On pouvait faire le tour du monde avec le nom de tous ces pays et de toutes ces villes. Souvent, des promeneurs désœuvrés s'arrêtaient à la grille qui donnait sur la voie ferrée. Un enfant rêveur comptait les trains qui passent. "
Guy Gilles, extrait de L'été recule, roman (inédit).
Ecrits personnels
Ecrits
A propos de Jeanne Moreau
Par Guy Gilles
J'étais lycéen, à Alger, lorsque j'ai découvert son visage sur l'affiche des Amants. Ce visage-là ne me plaisait pas. Comme pour Swann, « ce n'était pas mon type ». Mais la vie, sa vie ont transformé ce visage. Il est devenu beau et je n'ai pas résisté à la magie. Depuis que je l'ai aimée, j'écris tous les rôles de mes films pour elle et je continue, même si elle ne les joue pas. Jouer? Elle ne joue pas. Elle est.
L'Enfant que j'étais me tourmente. Ces mots, par elle écrits, sont devenus une chanson. C'est elle. Jeanne. Troublante d'extrême maturité, de force, de volonté; petite fille capricieuse. Refus pour certains qu'elle n'a jamais rencontrés. Rejets inexplicables. « Ce type est abominable.., je ne veux pas en entendre parler. »
« Elle est insaisissable, m'a dit un jour Marguerite Duras, ne cherche pas à comprendre. » Elle ne l'a jamais vue dire en regardant des platanes centenaires : « Quand je pense qu'ils ont déjà vécu tant d'années, qu'ils vivront encore tandis que nous aurons depuis longtemps disparu!.. » Et puis Marguerite ne l'a jamais serrée dans ses bras.
Jeanne Moreau dans
"Saint, poète et martyr" - 1974 |
Une nuit, nous regardons la télévision, une émission sur Aragon. Je lui fais remarquer combien quelques notes de musique sur des images amènent la nostalgie. Sans me regarder, elle dit simplement: « Tout est nostalgique. » Je tourne le visage vers elle : des larmes. Jeanne donne tout. Demande tout. Normal.
Elle parle peu de son métier, mais avec justesse. Elle possède la conscience très développée de la gradation dans le jeu. Par exemple, en voyant pleurer à chaudes larmes une chanteuse qui interprétait une chanson qui n'était pas particulièrement triste : « Si elle pleure autant, qu'est-ce qu'elle fera pour une chanson où elle devra vraiment pleurer? ». Lorsque j'ai tourné une émission consacrée à Genet, j'avais demandé à Jeanne d'être la lectrice des mots qu'un homme avait écrits sur d'autres hommes. Elle est arrivée, n'a pas répété, elle l’a dit: il n'y avait rien à retoucher, pas un mot. La lecture disparaissait, les phrases étaient dans sa tête.
Jeanne est magique et il lui faut des gens magiques, aussi : Losey, Kazan... Elle a ce don d'ajouter : elle m'avait dit « oui » pour interpréter la chanson du Jardin qui bascule, «oui» pour apparaître à l'image, mais seulement à condition que ce soit Stéphane Grappelli qui l'accompagne. Et c'est vrai, il y a un accord magnifique entre le violon et sa voix; aujourd'hui, je n'arrive plus à imaginer la chanson sans Grappelli.
Jeanne, lucide: «J'ai réussi ma carrière et raté ma vie privée ». Bien sûr, le sens de l'absolu et le goût de la passion. Son amour de la jeunesse (celle des autres, des hommes qu'elle a aimés) vient d'une pensée naïve qui me touche et m'enchante: "La jeunesse est plus riche d'illusions. » Vraiment?
Avant le tournage du Jardin qui bascule, Delphine Seyrig essayait les robes du fim. J'ai vu son corps, je l'ai trouvé beau. Jeanne : « Mais qu'est-ce que c'est, un corps extraordinaire? Ça n'existe pas... Un corps, c'est une épaule qu'on sait montrer, une jambe qu'on sait poser... »
A ses débuts, on la disait imphotographiable. Elle a travaillé et su modifier son visage. Jeanne a parfois la tentation de vieillir et de s'enlaidir. Elle ne le peut pas. Je pense qu'elle ne franchira jamais ce pas. Jeanne est la femme fatale contre le temps qui vous retire puis vous redonne ce rôle-là. On assiste ainsi à des métamorphoses incroyables. Dans Les Valseuses, elle sort de prison, vieille, “visage dévasté”. Cinq minutes plus tard, dans le même film, nous la retrouvons belle, sublimement. Jeanne est par essence la femme qui séduit. Le charme. Le public lui demande cela. Ce qu'il ne dira pas d'autres actrices, le public le dira de Jeanne : “Comme elle a changé! Comme elle a vieilli!” puis “Comme elle est belle!”
Eva pour la vie? Jeanne est, avec Vivien Leigh, la plus grande des actrices. Toutes deux sont uniques. On tremble de les voir parler et vivre sur l'écran.
Tanger, le 16 août 1987.
Ce texte est tiré de l'ouvrage "Jeanne Moreau", par Jean-Claude Moireau, édité chez Ramsay (D.R.)
Pour l'anecdote, seize ans avant l'écriture de ce texte, quelques journaux "people" s'attardèrent sur l'histoire entre Jeanne Moreau et Guy Gilles, particulièrement après la tentative de suicide de celui-ci. En voici un exemple, tiré de Paris Hebdo du 6 au 12 avril 1971, signé Yves Farion.
Guy Gilles et Jeanne Moreau - 1971
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Jeanne Moreau : Guy Gilles ne s'est pas tué pour moi!
S'il est une femme qui a toujours été entourée d'amour, c'est Jeanne Moreau. Le dernier homme que l'on ait vu dans son sillage est un jeune cinéaste : Guy Gilles. Pourtant entre eux tout est fini.
Il vouait à Jeanne une véritable adoration. Son amour pour elle transparaît sur les photos qu'on a prises d'eux : il la mange des yeux. On les voyait sortir ensemble dans les rues près de l'Elysée, le quartier où elle habite quand elle n'est pas à la Garde-Freinet. Au téléphone, c'est lui qui répondait.
Puis Jeanne est entrée en clinique se faire opérer. Quand elle en est ressortie, on n'a plus entendu parler de Guy Gilles. Voilà qu'on dit aujourd'hui que c'est lui qui est à l'hôpital. Le dernier des cavaliers-servants de Jeanne Moreau aurait tenté de mettre fin à ses jours. Par amour, évidemment. C'est moi qui lui ai appris la nouvelle qui n'est, pour l'instant, qu'une rumeur dont nul ne peut savoir si elle est fondée ou non. Jeanne est tombée des nues.
- S'il a fait ça, s'est-elle écriée, je suis certaine que ce n'est pas à cause de moi! Fichez-moi la paix avec ces histoires-là. J'ai autre chose à faire en ce moment.
En effet, Jeanne Moreau termine un film : L'Humeur vagabonde (un titre qui semble fait pour elle). Ensuite, elle part pour Hollywood, non pour tourner, mais pour remplir une fonction officielle et honorifique qui, pour la première fois dans l'histoire du cinéma, est confiée à une actrice française : au cours de la traditionnelle soirée de gala, c'est elle qui remettra les Oscars aux vedettes.
- Je suis folle de joie à cette idée, m'a-t-elle dit. Je ne pense qu'à ça.
Le moment n'est donc pas choisi pour lui parler d'amour, encore moins de mariage, un rêve que Guy Gilles avait peut-être caressé.
- C'est complètement idiot! dit Jeanne. Je ne suis pas hypocrite. J'ai dit et répété que, pour moi, le bonheur était dans l'union libre. Je ne reviens jamais sur mes déclarations.
Tout ce qu'on peut dire est que le projet de film dont il était question entre Jeanne Moreau et Guy Gilles tient toujours. Le tournage est prévu pour le début juin, le film aura pour titre Tristan et Juliette et Guy en sera le réalisateur.
Mais auparavant, Jeanne a encore deux contrats à remplir et, entre deux films, elle se ménage toujours une période de repos à la Garde-Freinet. C'est là d'ailleurs qu'elle compte aller passer quelques semaines à son retour d'Hollywood.
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Un ciné-reportage de Guy Gilles, le 25 août 1970, sur la deuxième chaîne-couleurs
Propos recueillis par Luc Chiche
Pour le magazine quotidien de Jacqueline Baudrier « 24 Heures sur la 2 », Guy Gilles (Clair de Terre, grand prix du festival d'Hyères) a réalisé un ciné-portrait de Jeanne Moreau à l'occasion de la sortie de son nouveau disque " Jeanne chante Jeanne ". De passage à Marseille, Guy Gilles répond à nos questions.
• Comment avez-vous conçu cette émission ?
- Pour la première fois, Jeanne Moreau ne s'est pas contentée de chanter des chansons écrites par d'autres, comme elle l'avait fait dans Jules et Jim avec les chansons de Bassiak ; elle en a composé les textes ; et toutes ces petites chansons placées les unes à la suite des autres, forment une sorte d'auto-portrait.
Dans le film (comme pour le disque), chaque chanson provoque une question, et chaque réponse recompose une sorte de portrait de Jeanne Moreau : La peur de la mort, la solitude, la sensualité, le goût de l'enfance, l'amour de la nature, l'émotion de l'amour, avoir 40 ans, etc... sont quelques-uns des thèmes de cette émission.
Une grande sincérité
• Jeanne Moreau chante dans le film ?
- Non. Je vais vous expliquer. Lorsqu'elle m'a fait écouter pour la première fois son disque, j'ai découvert ce qui est très important et essentiel chez elle dans le comportement de sa personnalité : tout ce qui émane de son visage. Je l'avais observé tandis qu'elle écoutait le disque qu'elle me faisait découvrir et j'avais été très touché, très ému pas son intensité, sa gravité et tout à coup au contraire, l'éclat de rire, le rire très enfantin; ce qui est tout à fait curieux chez elle, c'est le côté " tout à fait grave " ou " tout à fait gai "
Dans le film donc, j'ai reconstitué cette scène, je lui ai demandé de s'écouter chanter et elle a quelques fois chantonné sur son propre disque.
• Et les questions ont été enchaînées à cette écoute ?
Oui. Et j'ai également filmé sa maison, ses fleurs, ses promenades, avec les chiens.
• Pourquoi Jacqueline Baudrier a fait appel à un cinéaste pour tourner ce ciné-reportage sur Jeanne Moreau ?
Jacqueline Baudrier savait que je devais faire un film avec Jeanne Moreau et elle a pensé qu'elle accepterait.
• Quel est ce film, " Cannibale en Sicile " ?
Une femme déchirée par la mort de sa mère qu'elle n'arrive pas à " digérer " (d'où le titre) ; un amour usé par le temps et qui renaîtra au cours d'un voyage en Sicile dans le soleil et la tendresse.
Un charme infini
• Et pourquoi avoir choisi Jeanne Moreau ?
Par les multiples facettes de sa personnalité, elle peut tout jouer, mas il y a dans Sarah, le personnage des " Cannibales ", quelques traits de caractère qui me semblent se rapprocher de ceux de Jeanne Moreau. Une femme qu'on croit forte mais qui est fragile en face d'un homme qu'on pourrait croire passif mais qui est fort Un charme infini qui donne envie de la prendre dans ses bras, d'excuser ses caprices, un côté fantasque, une grande sincérité, une façon de ne pas tout à fait se prendre au sérieux, le goût de la vie, manger, boire, aimer, une certaine nostalgie, un besoin d'être prise par la main. Le partenaire masculin est une très grande vedette, dont on ne peut encore révéler le nom.
L'émission est prévue pour le 25 août sur la 2e chaîne.