Guy Gilles   Cinéaste français (1938 - 1996)
Guy Gilles

" Dans tous ses films, qui sont des films d'amour et de tourment, les personnages luttent contre le mal de vivre, la fuite inexorable du temps, veulent faire de l'absolu avec de l'éphémère. Et même s'ils ne racontent pas la vie de Guy Gilles, ils sont autobiographiques; une suite de rencontres, les blessures inguérissables d'une passion récurrente. "

Jacques Siclier

Entretiens

Aujourd'hui première du « Pan Coupé » : entretien avec Henry Chapier

Guy Gilles : " mon film est à contre-courant des modes "

Au Pan Coupé est le deuxième long-métrage de Guy Gilles. Sans doute ne verrons-nous pas de sitôt son premier film romantique et adolescent - L’amour à la Mer dont la distribution se trouve bloquée en raison des normes absurdes qui régissent l'anachronique système du cinéma français.
Ses premiers pas, Guy Gilles les a faits clans le court-métrage : rappelons Chanson de Gestes et le portrait du peintre Francis Saval.
À Pesaro, l'Amour à la Mer l'avait emporté au référendum public organisé par le festival Cinéma Nuovo en juin 65.
Des acteurs passionnés - comme Macha Méril - ont accepté de jouer en participation dans ce second film de Guy Gilles, où le rôle du héros revient à un débutant qui fera carrière : Patrick Jouané.
Adolescent, Guy Gilles l'est autant que romantique : il ressemble à ses films, et on devine - à le rencontrer - que son inspiration est autobiographique.
H. Ch.

• S'agit-il - comme pour la plupart des jeunes cinéastes - d’un film autobiographique ?
- Il me semble qu'on se raconte toujours, même lorsqu'on choisit un sujet de fiction, ou que l'on filme d'après le scénario d'un autre...
Au Pan Coupé n'est pas une aventure biographique : je n'y raconte pas d'événements personnels dans le sens de la péripétie, mais quelque chose d'autre qui me parait refléter les incertitudes des adolescents d'aujourd'hui.

• En somme, un retour au romantisme...
- Je n'aime pas les étiquettes, les sujets à thèse, ni les faux documentaires. Si je devais résumer Au Pan Coupé, je dirais que c'est l'histoire de Jeanne qui aimait Jean, lequel ne cesse de faire la vie, fasciné qu'il est par la mort... C'est peut-être romantique, ou adolescent, je ne sais. En tout cas, c'est un film selon mon cœur, un film où la mémoire affective et la nostalgie s'échappent sans retenue, et n'obéissent à aucun parti-pris formel. Au Pan Coupé est un film rêvé, écrit et réalisé à rebours de toutes les modes. À mes risques et périls, je suis pour ce cinéma subjectif, où la sincérité et l'émotion l'emportent sur ce " qui se fait ", sur ce que l'on commente dans les très érudites dissertations sur le « nouveau cinéma ».

• Est-ce une pierre dans le jardin des revues spécialisées ?
- Il y a longtemps que ce genre d'exercice ne m'amuse pas. Vous savez, je suis un solitaire qui n'est d'aucune chapelle Je regrette un peu de n'avoir pas l'adhésion de ces jeunes qui souffrent comme moi d'un système sclérosé, mais je ne crois pas que mon métier soit de faire des conférences dogmatiques, ou de séduire des chefs de file par mes propres théories. Au Pan Coupé est un film sans apprêt, sans démagogie. Ce n'est pas mon rôle de le lancer, ni de le faire aimer. À présent, aux autres de jouer, j'ai fait mon bout de chemin !

• Mais les jeunes ce sont aussi vos interprètes, Macha Méril et Patrick Jouané.
- Oui. Macha s'est jetée à corps perdu dans cette aventure. Elle a pris le pari, elle a même insisté pour que son partenaire soit le jeune Patrick Jouané, ce qui est une attitude très sportive.
Au Pan Coupé a été fait dans cet état d'esprit : nulle préoccupation commerciale, aucune intention de piper les dés, de faite vendre...

• Combien de films peut-on tourner dans cette optique de pureté, d'absolu ?
- J'espère que bientôt, on pourra en tourner beaucoup. Nous avons eu la chance d'être soutenus par le C.N.C., mais c'est le cas d'autres projets... Ce que je puis affirmer, c'est que je préfère attendre plutôt que de faire du " cinéma alimentaire ". C'est une obstination peut-être puérile, mais je suis trop asocial pour réussir dans les " dosages ".

• Pour être aussi ferme, pensez-vous que vous êtes un moraliste, un auteur à « messages » importants ?
- Je ne me pose pas cette question. Je fais des films, comme on écrit des vers, comme on se sert des pinceaux. Un jour, c'est Ford ou Fuller - je pense - qui a dit qu'un cinéaste devait être direct et sincère dans l'expression de son éducation. Au Pan Coupé ne s'adresse à mon avis qu'à la sensibilité. Vous réagirez selon la vôtre, et je crois qu'à ce niveau il n'y a ni citation, ni exégèse à faire. J'essaie de m'exprimer à mon rythme, sans construire moi-même un système critique.
Je peux vous montrer mes images, et vous faire entendre mes sons mais je ne vaux vraiment rien pour les manifestes, ou les discours.,.

Propos recueillis par Henry CHAPIER
Combat, mercredi 7 février 1968