Guy Gilles   Cinéaste français (1938 - 1996)
Guy Gilles

" Dans tous ses films, qui sont des films d'amour et de tourment, les personnages luttent contre le mal de vivre, la fuite inexorable du temps, veulent faire de l'absolu avec de l'éphémère. Et même s'ils ne racontent pas la vie de Guy Gilles, ils sont autobiographiques; une suite de rencontres, les blessures inguérissables d'une passion récurrente. "

Jacques Siclier

Entretiens

Entretien avec Jean-Claude Guiguet - Extrait de Had International

- Vous avez réalisé Au Pan Coupé en 1967, Le Clair de Terre en 1970, et Absences Répétées en 72. Vous souhaiteriez sûrement travailler davantage. Quels sont les obstacles qui vous en empêchent?
- J'aurais préféré un film tous les deux ans... Mais d'une part un temps assez long est nécessaire à la conception d'un film comme Le Clair de Terre ou Absences Répétées. D'autre part, les difficultés qui viennent de la volonté d'imposer au système de tels films en compliquent et en reculent la réalisation. En France est écarté et redouté tout film qui ne répond pas directement aux critères du commerce : utilisation du star-system, pas condamnable en soi mais rendu difficile par le manque de choix, un scénario et style de mise en scène répondant aux goûts présumés du public. Pourtant, des films fort originaux viennent souvent contredire les idées des marchands sans permettre une évolution de leurs théories. Ils considèrent ces films comme des exceptions et leur succès ne permet aucune ouverture dans le sens d'une expression non conformiste.

- Dans ces trois films et surtout dans les deux premiers, l'apport autobiographique est important. Le ton confidentiel semble vous convenir particulièrement. J'aimerais que vous vous expliquiez là-dessus.
Dans le petit Robert "autobiographique" signifie, je crois, "qui concerne la vie de l'auteur, ses souvenirs sur lui-même". Mes souvenirs sur moi-même, ce qui concerne ma vie, c'est en relation directe avec les autres. Indissociable. Je ne suis pas une île. Plus qu'un simple apport autobiographique, le regard d'un cinéaste me semble pouvoir traduire à la fois ses sensations, ses impressions, sa réflexion et son sentiment mis en ordre par la distance qu'il désire prendre. La notion de confidence m'intéresse davantage car elle contient l'idée de sincérité, d'abandon et de confiance.

- Bien qu'hantés avant tout par une galerie d'adolescents inoubliables, le premier rôle de vos films, c'est le Temps. Est-ce donc votre obsession majeure? Le vieillissement est-il pour vous une blessure de chaque instant?
Le temps est le battement de la vie qui est, elle, mouvement. Ce mouvement nous rapproche de l'instant de la quitter, la vie. Il nous entraîne vers cette zone que l'imagination refuse. Avancer dans le temps : vivre, vieillir, mourir.

- L'adolescence est un passage qui vous intéresse beaucoup. Est-ce parce que la vôtre s'éloigne ou parce qu'elle demeure intacte dans la manière d'être de l'adulte?
L'adolescence me parait, par essence, la période un peu hors de ce temps qui nous entraîne et nous déchire. Le langage populaire l'a bien senti qui dit, pour parler d'elle, des choses aussi belles que "être à l'aube de la vie", "avoir toute la vie devant soi". Période aussi de fragile harmonie. La délicate élasticité des peaux, des muscles... l'équilibre de la structure du visage et du corps... mais déjà le travail de détérioration commence. Ça pour l'extérieur. Il reste le dedans. Très important! La fraîcheur de l'âme gomme les traces du temps. Conclusion: il faut soigner son intérieur

- Votre œuvre a ceci d'original et d'inimitable : vous savez mieux que quiconque - et avec des moyens cinématographiques qui tournent le dos à l'esbrouffe- faire surgir un coin du passé, la lumière spéciale, singulière d'autrefois. Poursuivrez-vous ainsi longtemps l'exploration de cette voie difficile?
Le passé est parfois très proche. Au cinéma, parler du présent c'est déjà parler du passé. Le pan de mur filmé il y a trois mois n'existe plus lorsqu'il renaît sur la toile blanche. L'espace gagne sur le temps. Passé, présent et futur se mêlent. L'exploration est à poursuivre!

Dans "Absences Répétées", l'amorce d'une fiction empiète sur la confidence. Je crois que dans "Le Jardin qui Bascule" cette fiction est plus présente encore. Comment avez-vous concilié la part de vous-même et la part fictive?
Dans "fiction", il y a "mensonge". Cela me gêne. Cela ne joue pas dans le sens de mon travail. Il y a dans toute recherche, dans toute création artistique une relation fatale entre l'imaginaire et la chose vécue, revue par le souvenir, exagérée, modifiée, ou épurée par la réflexion et la distance. Tout est lié. Le fait inventé tout net n'existe pas. Il est forcément rattaché à une réalité dont on part consciemment ou pas, dont on peut s'éloigner. Mais s'éloigner signifie aussi prendre du recul. Pour mieux voir et clairement traduire (exprimer).

- Jeanne Moreau chantait dans "Absences Répétées". Elle chante aussi dans "Le Jardin qui Bascule". Il semble que vous ayez pour elle une tendresse particulière.
Particulière en effet! Cette forme de tendresse, je ne l'ai pas eue pour beaucoup d'êtres sur cette terre. La rencontrer est un miracle, la perdre est inadmissible; mais elle laisse la possibilité et l'espoir d'un retour. Elle peut être une idée de l'absolu. L'enfant qu'elle était ne l'a pas quittée. Je ne l'oublierai jamais.

- Et Delphine Seyrig?
Ambiguë et assez difficile à cerner, Delphine Seyrig, par la rigueur de ses refus et de ses choix, son mélange de volonté et de fragilité, son charme dense comme le parfum de certaines fleurs me semble se rapprocher de la femme dont je viens de parler... Jeanne Moreau.

- Les êtres qui vous sont chers ressemblent-ils aux personnages de vos films?
Les êtres qui me sont chers sont les personnages de mes films.

- On va voir prochainement "Le Jardin qui Bascule". Alors ce film...
Il se présente comme une nouvelle réflexion sur l'amour et sur la mort. Karl (Patrick Jouané) est payé pour tuer et mourra. Le film tentera de répondre par des images et des situations à des thèmes et à des questions. Qu'y a-t-il dans la tête d'un homme qu'on paye pour tuer? A quel désenchantement répond ce choix? Comment de l'idée de révolté passer à l'idée de révolution? Karl n'a pas compris que l'idée de révolte mène au désespoir et à la mort, que l'idée de révolution est joyeuse et s'ouvre sur la vie. Son jeune complice Roland (Philippe Chemin) le comprendra à temps. Le film est aussi l'autopsie d'une passion. Comment nait l'amour? A quelles contradictions il se heurte? Désir de possession et désir d'indépendance. Romantisme de la rupture, de l'absolu et de la mort. Qu'y a-t-il encore dans la tête d'une femme qui ne veut plus regarder sa propre image? Ce sera enfin l'histoire d'une déviation d'intention, la prise d'amour qui fait basculer Karl le jeune assassin, le désarme; mais le dépit amoureux, la blessure du sentiment qu'on lui retire le ramène fatalement au crime. Le crime crapuleux deviendra crime passionnel.