Guy Gilles   Cinéaste français (1938 - 1996)
Guy Gilles

" Dans tous ses films, qui sont des films d'amour et de tourment, les personnages luttent contre le mal de vivre, la fuite inexorable du temps, veulent faire de l'absolu avec de l'éphémère. Et même s'ils ne racontent pas la vie de Guy Gilles, ils sont autobiographiques; une suite de rencontres, les blessures inguérissables d'une passion récurrente. "

Jacques Siclier

Entretiens

Retranscription d'un entretien radiophonique donné par Guy Gilles au moment de la diffusion de "Proust, l’art et la douleur" sur la 1ère chaîne, le 17 juin 1971.

Patrick Jouané et Guy Gilles sur le tournage

GG - C’est un film sur Proust, parallèle au Clair de terre : je faisais le Proust et j’ai dû m’arrêter pour faire Le Clair de terre. L’acteur est le même - c’est Patrick Jouané - c’est aussi un itinéraire, mais au lieu d’aller dans un pays qu’il ne connaît pas, qui était l’Afrique du Nord, il va vers des lieux proustiens, Cabourg, Illiers, et vers des personnages proustiens. Non pas une fuite mais une recherche. C’est le contraire du Clair de terre, où c’était quelqu’un qui n’avait pas de souvenirs. Là c’est quelqu’un qui va ves les souvenirs de Proust. L’émission tourne autour de ce personnage et de deux personnages vivants extraordinaires, Pierre Larcher, fils du notaire d’Illiers, dans le jardin duquel Proust jouait enfant. Et Célèste Albaret, la fidèle gouvernante de Proust : alors là j’ai essayé de faire le contraire de ce qu’avait fait Stéphane, dans son portrait souvenir, qui était très bien mais très spectaculaire, c’est-à-dire j’ai essayé de faire un portrait de Proust intime. J’ai demandé la voix qu’il avait, son emploi du temps, comment il se levait, à quelle heure, ce qu’il faisait heure par heure. Et il y a un portrait d’une chaleur extraordinaire parce qu’elle adorait Proust. Elle-même a un génie de la langue qui est extraordinaire.
- Pour vous qui êtes très jeune Guy Gilles, qu’est-ce que c’est qu’un écrivain comme Proust ?
GG – C’est une rencontre assez curieuse parce qu’avant Le clair de terre j’avais fait un film qui s’appelait Au pan coupé et puis j’ai lu partout qu’il y avait beaucoup d’influences proustiennes. Moi je n’avais pas lu Proust parce que j’avais horreur de la culture, j’aime lire le moins de choses possibles, seulement….
- Mais vous avez été capable de le lire pour réaliser ce film ?
GG – Je l’ai lu donc, après ça. Et du moment où je l’ai lu je suis tombé amoureux de lui, parce qu’on ne peux pas lire Proust sans tomber amoureux de lui et j’ai commencé le travail d’idolâtrie qui suit le travail d’amour, c’est-à-dire de voir. On m’a dit : tu sais que la maison de tante Léonie existe ? J’ai dit bon, je vais aller la voir. On m’a dit : elle est à Illiers, près de Chartres. Et en allant à Illiers j’ai rencontré Monsieur Larcher. Comme je travaille un petit peu pour la télévision, j’ai eu l’idée d’abord de faire quelque chose sur la visite de la maison telle qu’il la fait. Il sait des phrases de Proust par cœur, c’est très amusant, très vivant surtout. Et cette partie finie – c’est Roger Stéphane qui m’avait aidé à la faire – il m’a dit c’est bien mais vous devriez faire davantage. Ça me faisait très très peur, j’ai attendu un peu, j’ai réfléchi et j’ai tourné en quatre ans de 67 à 71.
- Et vous êtes prêt tout de même pour l’anniversaire ! Mais pourquoi ça s’appelle "L’art et la douleur" ?
GG – C’est une phrase de Proust qui me semble le définir assez bien, c’est : « L’art n’est pas seul à mettre du charme et du mystère dans les choses les plus insignifiantes. Ce même pouvoir est dévoluaussi à la douleur ».

 


Clap sur Guy Gilles, France Culture, 1973

On a beaucoup parlé de Proust et de moi mais en en parlant par rapport au fond. Or j'ai une petite idée là-dessus : je pense que - seul d'ailleurs Michel Mardore en a parlé bien -  que les rapports que j'ai avec Proust sont des rapport plutôt de forme. C'est une chose que j'ai toujours eue en moi, c'est pour ça que j'ai tellement aimé Proust : c'est une façon de fouiller - on m'a beaucoup reproché au début, maintenant moins, de découper beaucoup. Or finalement la séquence telle que je la conçois peut en effet se rapprocher de la phrase telle que l'écrivait Proust. Mais je ne peux pas faire un plan d'ensemble. Certains amateurs de cinéma américain disent : dans un bon plan d'ensemble il y a tout. C'est faux parce que dans un plan d'ensemble il y a tout mais il n'y a pas chaque détail montré avec son importance. C'est-à-dire que si je fais un gros plan sur une certaine lumière, sur une nuque, sur une main, sur un morceau d'un visage, sur un morceau d'un corps, je le fais apparaître plus précisément que dans un plan d'ensemble, c'est impossible à nier. Et en plus je vais fouiller aussi dans le décor des choses, des détails qui font partie de ce décor mais qu'on ne verrait pas assez si je les laissais dans un plan d'ensemble, je leur donne une importance propre. Et je crois que dans la phrase proustienne il y a ça aussi, un approfondissement dans la description.
Comme Proust travaillait sur l'essentiel des choses, fatalement tous les auteurs qui ont cherché à traduire l'essentiel se retrouvent, ce ne sont pas des thèmes strictement proustiens, il y a ça dans Dostoïevski, il y a ça dans des tas d'auteurs. Je crois que plutôt… mais ça ne fait rien ça ne me gêne pas du tout parce que c'est étroitement lié, pour moi le fond et la forme, c'est un mariage. Mais si l'on veut bien observer, je pense que ce sont des rapports de forme. Mais il est certain que ça renvoie au fond puisque cette forme est inventée pour exprimer un fond.

Je crois que ce sont les mêmes thèmes, toujours. C'est la fragilité de tout, cet espèce de passage fugitif qu'on fait sur la terre, l'obsession de la mort qui est le tamis de tout ce qu'on reçoit et puis la recherche de l'amour aussi… ce sont les mêmes, c'est la fragilité de tout, et ça renvoie fatalement au temps, le temps qui passe…