Guy Gilles   Cinéaste français (1938 - 1996)
Guy Gilles

" Dans tous ses films, qui sont des films d'amour et de tourment, les personnages luttent contre le mal de vivre, la fuite inexorable du temps, veulent faire de l'absolu avec de l'éphémère. Et même s'ils ne racontent pas la vie de Guy Gilles, ils sont autobiographiques; une suite de rencontres, les blessures inguérissables d'une passion récurrente. "

Jacques Siclier

Entretiens

Cet entretien avec Guy Gilles est extrait du Journal de bord du Clair de terre.

Luc Bernard clôt en effet son livre par une interview avec le cinéaste : l’extrait présenté ici concerne Maria, le personnage interprété par Annie Girardot (Pages 146-149).

- Et à Douville on retrouve Pierre et son amie Maria. Qui est Maria?
- Maria est un des personnages que Pierre croise, plus précisément vers qui il va, car tout le film n'est fait que de ça. Pierre, fil tendu tout au long du film, va d'un point à l'autre, d'un lieu à l'autre, rencontre des personnages, traverse des paysages et vit. Maria c'est l'autre visage de Pierre... Plutôt un autre visage de Pierre, Paris nous en ayant déjà montré un.
Historiquement, Maria est une ancienne élève du père de Pierre qui est professeur de piano... Je fais des petites fiches sur lesquelles j'inscris comme sur un fichier d'état-civil, l'état-civil des personnages, alors si je devais lire cette fiche, je verrais que Maria a trente-cinq ans, qu'elle a connu Pierre lorsqu'il était enfant, avec une petite différence d'âge. Pierre est un enfant sans mère. Elle a dû être très gentille avec lui souvent. Ils ont dû sortir ensemble. Un jour Maria s'est mariée... la vie à Paris ne lui plaît pas... Elle est musicienne. C'est une artiste. Elle épouse un homme, Jean, qui est lui aussi musicien, et ils décident de fuir le tumulte parisien et de se réfugier à la campagne dans un petit village français.
Ils vont à Douville et juste quelques mois après, Jean est malade et il meurt. Pierre, au moment où il décide de quitter Paris, n'a qu'une seule pensée : rendre visite à Maria, ce qu'il fait.

- Maria a aussi une particularité : elle existait dans la première mouture du film, elle a disparu dans la seconde, et finalement tu l'as replacée.
- J'ai replacé au moment de tourner presque tout ce que j'avais enlevé de la première mouture.

- Pourquoi avais-tu enlevé Maria et pourquoi as-tu senti le besoin de la replacer?
- Parce qu'elle éclairait pour moi, d'une façon particulière et très importante, un côté du caractère de Pierre. Par sa visite à Maria on voit déjà en Pierre le garçon des promesses tenues. Je l'ai enlevée, mais c'était une manœuvre simplement, c'est parce que je savais que dans le contexte d'une construction plus linéaire, il était favorable d'enlever le personnage de Maria pour obtenir l'avance du Centre du Cinéma.

- De quelle personne t'es-tu inspiré pour créer le personnage de Maria?
- Là, c'est une question très intéressante et très curieuse, parce que je crois que c'est le seul personnage presque totalement imaginaire... Je ne me suis inspiré de personne, peut-être que Maria c'est moi, peut-être que le vrai moi dans ce film, c'est Maria, parce qu'elle raconte cette envie tout d'un coup, malgré la tristesse, d'aller à Paris. Ce bonheur de se retrouver dans une ville qu'on a si bien connue, comme un étranger, de traverser le bassin des Tuileries, d'être triste mais de sourire quand même parce que des enfants jouent...
Ce sont des choses que j'ai ressenties, un jour précisément. Et c'est justement à l'exposition Bonnard, devant le tableau « Méditerranée » que j'ai ressenti une telle joie, une telle plénitude... Impression de bonheur et de joie de vivre, je suis sorti et j'ai eu envie de faire de très beaux films.


Patrick Jouané et Annie Girardot dans "Le clair de terre"

ANNIE GIRARDOT
- Et la photo de Maria sur la fiche d'état-civil serait celle d'Annie Girardot?
- Et sa voix surtout. Elle m'a dit une chose très amusante, lorsqu'elle a commencé à travailler le texte: « C'est drôle, les mots viennent tout à fait dans ma bouche. » C'était amusant, parce que je l'ai écrit pour elle... Je ne le lui ai pas dit.

- Et comment as-tu dirigé Annie Girardot?
- Avec Annie on a honte, parce que dès qu'elle ouvre la bouche c'est bien, alors on n'a pas grand-chose à dire. Il y a deux sortes d'acteurs : certains qui sont quelquefois mauvais et quelquefois très bons. Et d'autres qui sont « différents ». Annie est différente. C'est-à-dire qu'il n'y a aucune prise au cours de laquelle elle soit mauvaise, simplement on peut lui demander d'exprimer différemment une chose... Elle donnera une autre version, comme on peut peindre dix tableaux mais aussi jolis les uns que les autres. Elle, c'est pareil.
Alors l'entente a été parfaite. Simplement le tournage a été un peu triste parce que le personnage était très dramatique, l'ambiance d'Illiers, un village triste aussi et Annie était très imprégnée de tout ça, elle parlait très peu, de plus elle était préoccupée par des problèmes de texte... Son texte était assez long, très précis, presque une sorte de monologue...
Toute l'équipe a suivi le mouvement et a été prise par une sorte de recueillement. On ne parlait plus. On se déplaçait en silence. C'était très curieux. Ça a été la seule expérience de la sorte.

- Quels ont été les rapports d'Annie Girardot avec Patrick Jouané?
- Excellents, j'ai remarqué que plus le partenaire est bon, plus il est présent, et plus Patrick l'est.

- La première fois, après la lecture du rôle, comment as-tu présenté le personnage de Maria à Annie Girardot?
- Je lui ai dit une chose précise. Il y a deux Annie Girardot, une que j'aime beaucoup, c'est l'Annie Girardot douce, brisée, de Rocco et ses frères et l'Annie Girardot qui parle vite avec un ton saccadé et qui bouscule ses mots; ce n'est pas celle-là que je veux... Maria, c'est la douceur, la tendresse, quelqu'un de brisé, mais qui essaie de sourire, et je n'ai pas eu grand-chose d'autre à lui dire... Annie parle très peu. Elle a dit une seule chose de son personnage : « J'espère que ce sera émouvant.