Guy Gilles   Cinéaste français (1938 - 1996)
Guy Gilles

" Dans tous ses films, qui sont des films d'amour et de tourment, les personnages luttent contre le mal de vivre, la fuite inexorable du temps, veulent faire de l'absolu avec de l'éphémère. Et même s'ils ne racontent pas la vie de Guy Gilles, ils sont autobiographiques; une suite de rencontres, les blessures inguérissables d'une passion récurrente. "

Jacques Siclier

Le pavillon des têtes dures


par Stéphane Delorme

Sauvage Innocence : la proposition garrellienne claque comme un coup de fouet. Se profilent des corps butés, imperturbables, impénétrables, à la parole haute et au geste vif. L'innocence n'est pas celle, pure et blanche, des enfants sages comme des images, portant la voix d'avant mue du choriste blafard, mais l'intransigeance sans compromis de l'insoumis. Le sauvage innocent refuse de signer le pacte social parce qu'on ne pactise pas avec le diable. Il faut faire face et, le corps penché en avant, opposer un visage de marbre. Et quand bien même ce corps qui ne bouge pas meurt, il ressuscite aussitôt, sauvé pour toujours par la splendeur de son aplomb.

L'intransigeance est la première innocence. Celle, bressonnienne, des amants de Garrel, celle rayienne, de tous les amants de la nuit, celle minérale des kids russes de Kanevski : autant de Mouchette en noir et blanc, le regard dur et les poings dans les poches. De cette première innocence, on pourra dire qu'elle est rimbaldienne, tête d'ange et regard de peau-rouge. Les amants neufs de Carax sont tous abreuvés du même antique mauvais sang. Cette innocence superbe s'allie à trois mythes. Celui, tenace, du solitaire, emblématisé par les figures altières et nostalgiques du cinéma méconnu de Guy Gilles; hautes solitudes qui finissent recluses (Absences répétées) ou clochardes (Au pan coupé) au mépris des bourgeois comme des beatniks. Celui, surréaliste, de l'amour fou, qui déclenche les fugues hors le monde des enfants désaccordés : chez Garrel ou Carax, on est sauvage à deux contre tous. Celui, politique, de la révolution, qui clame que les inadaptés ne sont pas de doux rêveurs, que les innocents ne sont pas inoffensifs : c'est tout le cinéma des "dandys de Mai 1968" (Shally Shafto) produits par Zanzibar. De toutes ces figures frappent la noblesse, le hiératisme, la terreur même qu'elles provoquent. Terreur de la beauté, de l'exigence de pureté, terreur du crime. Antigones de celluloïd. Celluloïd de marbre. On y retrouve une forme de religiosité, quête d'un absolu sans vérités relatives. Lorsque l'affaire tourne mal, la mystique du corps adolescent mène au martyr chez Guy Gilles ou Lionel Soukaz (Ixe), les anges sombrant par milliers sous les effets de la poudre blanche ou de l'ennui. Le massacre des innocents marque toujours la révolte des médiocres (…)

extrait du texte introductif au programme.

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Catalogue du programme : Guy Gilles à l’écran St Denis - "Sauvage Innocence"

Par Gaël Lépingle


Dans l’œuvre et l’univers obsessionnel de Guy Gilles, le « cycle adolescent » s’impose d’emblée. Une poignée de courts et longs-métrages habitée par la recherche tenace d’un âge qui est ici l’âge des impossibles, des dépressions à hauts risques, des deuils à en mourir. Sauvage innocence, innocence sauvage, oui, combinaison magique on ne peut plus appropriée à ces corps, à ces êtres que le cinéaste a tant filmés.
Rebelles sans cause, abandonnés sur le chemin des idéaux de 68, ils étaient trop farouchement individualistes et bien trop désespérés pour avoir l’heur de plaire à une époque passionnément attachée à ses utopies. Et pourtant…. Entre 1967 et 1972, Guy Gilles a enregistré l’envers du décor officiel : une jeunesse prémonitoire, petit-bourgeois et petits délinquants indifféremment victimes de leur mutisme, de leur révolte silencieuse. La lutte des classes n’aura pas lieu, la société est tragique parce que l’existence l’est, ontologiquement.
C’est le Temps, bien sûr. Guy Gilles est par excellence le cinéaste du temps qui ne passe pas, compteurs bloqués à l’adolescence - à l’âge où l’on devrait commencer à perdre et à quitter. Ses trois plus grands films, Au pan coupé, Le clair de terre et Absences répétées, entremêlent inextricablement l’impossibilité de quitter, l’attachement à la vie, et l’impossibilité de vivre qui en résulte. Ce sont trois portraits de jeune homme traversés par la grâce fulgurante d’un interprète, Patrick Jouané, qui fut le compagnon de route presque exclusif du cinéaste. Tous deux nous ont quitté, Guy Gilles en 1996, Patrick Jouané trois ans après.
Il ne faut pas manquer cette occasion rare de découvrir leur cinéma, d’un romanesque fou et d’une sensualité inépuisable pour les choses du monde.

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Pressse : Libération

Saint-Denis dans une spirale sauvage
Au festival "Est-ce ainsi que les hommes vivent?", sélection de haute volée avec la jeunesse en toile de fond.

(…) Nos larmes, on peut aussi les offrir à l'œuvre retrouvée de Guy Gilles. Tout le monde n'ayant pas eu la chance d'être au festival de La Rochelle, il y a deux ans, la découverte continue à faire sensation : voici enfin retrouvé le chaînon manquant entre Garrel et Guiguet. Guy Gilles, mort en 1996 à cinquante-sept ans, a signé peu de films, parfois avec des acteurs populaires (même Roger Hanin!), mais difficile de rencontrer un cinéma à ce point mélancolique, shooté à la solitude, inconsolable d'un temps perdu qui ne reviendra plus. Dans cette poignée de films tristes et beaux (Au pan coupé, Le Clair de terre, Absences répétées), chaque plan est cadré comme s'il était le dernier.

Philippe Azoury, Libération, mercredi 2 février 2005