Guy Gilles   Cinéaste français (1938 - 1996)
Guy Gilles

" Dans tous ses films, qui sont des films d'amour et de tourment, les personnages luttent contre le mal de vivre, la fuite inexorable du temps, veulent faire de l'absolu avec de l'éphémère. Et même s'ils ne racontent pas la vie de Guy Gilles, ils sont autobiographiques; une suite de rencontres, les blessures inguérissables d'une passion récurrente. "

Jacques Siclier

Entretiens

Retranscriptions de deux émissions de Radio données à l'occasion de la sortie en salles du Clair de terre (1971)

Entretien avec Guy Gilles et Edwige Feuillère, par Roger Régent

Edwige Feuillère et Patrick Jouané dans "Le Clair de Terre"

EF - Depuis quelque temps j’ai essayé de préserver une vie qui comporte de temps en temps une activité théâtrale, quelques « prestations » comme on dit, cinématographiques et puis il faut bien le dire je ne trouve pas de rôle qui me passionnent. Les choses qu’on me propose ne m’excitent pas, ne font pas que j’ai un élan, comme c’est arrivé avec la proposition de Guy Gilles. J’ai tout de suite pensé que je devais jouer ce rôle.
GG - Je suis né en Algérie, mais c’est plutôt l’histoire de mon petit frère, c’est-à-dire d’un personnage qui n’a pas vécu dans le pays où il est né. Ce qui n’est pas mon cas, moi j’ai vécu jusqu’à l’âge de 16 ans mais j’étais très curieux de voir ce qu’il en restait pour mon petit frère qui était parti à 6 ans. Et puis j’avais plus de recul pour écrire une histoire d’après un personnage qui n’était pas tout à fait moi.
EF – J’ai été très touchée par le scénario quand Guy Gilles me l’a donné à lire. Pour moi c’était l’histoire d’une âme en peine. Une sorte de quête… et c’est toujours très émouvant. Et puis le personnage était joli parce que tout ce qu’il comportait de mélancolique, de joie aussi, de décision de rester là où on a choisi de vivre, tout ça me touchait beaucoup. Et Guy Gilles m’a très bien dirigé. Et je dois dire qu’on était dans cette Tunisie tous un peu comme des émigrés qui reviennent… N’est-ce pas ?
GG - Oui. D’ailleurs je ne vous ai pas dirigée. On se dirigeait tous vers une chose qui était ce film à faire et vraiment on s’est accordé merveilleusement et les jours passaient, c’est vrai…
EF - Mais il y a certainement quelque chose entre Guy Gilles et moi de mystérieux. Il y a cette histoire de passage Vivienne l’autre jour qui m’a beaucoup frappé. Je la raconte ? J’aime errer dans Paris, découvrir des lieux. En ce moment je joue au théâtre du Palais Royal donc c’est le périmètre de ce vieux Paris que je découvre, et je ne connaissais pas le passage Vivienne. L’autre jour, j’y entre, il était six heures, il n’y avait absolument personne, c’était un endroit mystérieux, hors du temps, hors de Paris, et immédiatement je pense à Guy Gilles. Je me dis c’est un lieu pour lui, pour un de ses films. Il y a en face d’une petite boutique tenue par une femme très charmante une sorte de verrière avec des pans vaguement dessinés… et j’entre, et là je rencontre une femme très sympathique qui me fait voir son magasin, son petit appartement. Et puis Guy Gilles vient tout à fait par hasard me dire bonsoir dans ma loge au Palais Royal, et je lui dis : vous savez, j’ai découvert quelque chose… Le passage Vivienne. Il me dit : vous êtes allée chez Mme Untel ? et il me donne le nom d’une de ses amies, et lui-même avait déjà pensé à utiliser ce passage dans son histoire… Il y a une sorte de mystérieuse coïncidence.
GG - Nous sommes des promeneurs. C’est un des grands thèmes de Mme Larivière, c’est aussi une promeneuse et une rêveuse, et quand Pierre lui demande « Vous ne vous ennuyez pas ? », elle est très étonnée, elle lui dit pas du tout, dans un village comme celui-là le temps s’arrête, je peux rester des heures à regarder la mer.
EF - Je suis beaucoup plus proche de ce personnage-là que de beaucoup d’autres que j’ai eu l’honneur d’interpréter (rires) !
RR - Il n’y a pas une dimension un peu amoureuse aussi ?
EF - Non. C’est la tendresse pour un jeune quand il beau, quand il est attirant mais ça reste très pur, c’est quelque chose d’absolument maternel.
GG - Ce sont les limites entre la tendresse et ce qui peut dépasser la tendresse. Alors on ne sait pas. Peut-être d’ailleurs que ce garçon l’aime et il ne sait pas ce que c’est qu’aimer mais enfin ce n’est pas le thème. Mme Larivière est un guide sentimental, elle fait le portrait du pays, de sa mère, et d’elle-même. Et quand il repart, il a vu quelqu’un qui est serein et qui sait écouter le vent, écouter la vie.
RR - Pourquoi « à suivre » ?…
GG - Je reprendrai peut-être des personnages comme Mme Larivière pour un autre film.
RR - Il y a beaucoup de grands noms au générique…
(…) Il y a autant d’acteurs reconnus que de visages nouveaux. Et puis vous connaissez la phrase de Cocteau : si vous voyez dans mes films des visages connus c’est soit parce qu’ils sont mes amis, soit parce que ce sont les personnages ! Ce qu’il faut voir dans un acteur c’est le dedans d’un acteur. Il faut le choisir comme quand un peintre choisit un élément plastique : on choisit un acteur pour sa poésie. Et sa poésie c’est le son de sa voix, le charme qui émane de lui, les taches de rousseur.. et puis après on lui fait jouer ce qu’il veut. Il ne joue plus la comédie.
RR - C’est très courageux de la part de Guy Gilles d’avoir tourné un film résolument à contre-courant. Maintenant évidemment c’est ou l’érotisme ou la violence ou l’engagement politique et Guy Gilles a fait un film qui est résolument contre tout ça.
EF - Il a d’abord fait un film poétique, selon lui-même. Il n’est pas un violent, c’est normal, c’est son expression. Et ce qui était très joli c’était de voir tous ces jeunes – j’étais leur aînée dans toute cette histoire – surtout des garçons, gentils, bien, harmonieux…
GG - Quand on s’est séparé c’est comme quand on se sépare avec des amis, quand Edwige a fini, qu’elle est partie, tout le monde a été triste, vraiment.
EF - Et moi j’étais triste de partir !
GG - Mais on a eu de la chance : il y a eu un ennui de laboratoire et elle est revenue une semaine !
RR - Vous l’avez fait exprès !… Au Studio Gît le Cœur, j’ai remarqué que les jeunes applaudissaient à la fin du film.
GG - Ça m’a fait très plaisir… Mais je voulais dire une petite chose ; je ne suis pas tout à fait d’accord avec Roger Régent. Ce n’est pas un film « militant politique », mais tous les films sont politiques. C’est un film « militant politique » sur la vie comme elle pourrait être, la vie rêvée… si on était tendre…c’est ce que les gens aiment
RR - Oui, mais je ne pense pas du tout que votre film ait le moindre contenu politique…
GG - Mais si, il l’a ! Tous les films sont politiques ! Ce n’est pas un film militant mais tout est politique, fatalement !
RR- Vous savez, on met de la politique un peu partout à ce compte-là ! Je crois qu’il faut s’en défendre, s’en méfier au moins.
GG - Le personnage de Mme Larivière est resté dans ce pays : c’est une fidélité à des idées précises.


Patrick Jouané et Edwige Feuillère sur le tournage du "Clair de Terre"

- Guy Gilles pourquoi avez-vous intitulé votre film Clair de terre ?
GG - Ça s’appelle maintenant Le clair de terre, parce que les éditions Gallimard ont écrit à la production de mon film, Clair de terre est un recueil de poèmes de Breton, j’aime beaucoup Breton mais je ne m’en souvenais pas. Nous avons tourné place des Vosges le matin où les cosmonautes sont montés sur la lune. Tout le monde lisait ça sur les bancs. Et Patrick Jouané, mon acteur principal, m’a dit : je vais te lire quelque chose qui va te plaire : « avant on voyait le clair de lune, et maintenant les cosmonautes ont vu le clair de terre ». Je lui ai dit ce sera le titre du film !

- Il n’y a pas d’allusion aux guerres d’indépendance (Algérie ou Tunisie)…
GG - Oui, parce que c’est l’essence de cette idée qui m’a intéressé. Cette idée hors du temps et hors de la politique. Le déracinement a été et sera toujours le déracinement que ce soit pour la décolonisation, pour une raison personnelle ; quand on a quitté quelque chose on a toujours, enfin peut-être pas tout le monde, mais beaucoup de gens ont la nostalgie de ce qu’ils ont quitté, de ce qu’on les a obligé à quitter.

- C’est un peu un film de peintre…
GG - J’ai fait de la peinture, oui, mais je n’aime pas qu’on compare la peinture au cinéma. Le cinéma est art total, justement j’ai cessé de peindre au fur et à mesure que j’ai senti que j’aimais totalement le cinéma.

- Vous faites pas mal de télévision…
GG - Pour la télévision, je choisis des choses plus de l’instant, que je n’aimerais pas totalement faire pour le cinéma, auxquelles je pense quelques fois mais que j’abandonne à l’état de projet. J’aime bien quand Godard intègre des interviews dans ses films, par exemple Brice Parrain dans Vivre sa vie mais pour moi je préfère faire un portrait, une chose essentiellement sur un personnage qu’on choisit, comme Survage qui est mort maintenant, ou Marguerite Duras qui est mon amie, prendre quelqu’un et faire un portrait de lui, une chose fermée sur elle-même.

- Votre film raconte une histoire intelligible à tout le monde, ce qui n’est pas le cas de tout le jeune cinéma…
GG - Ça ne me gêne pas du tout parce que j’introduis dans cette ligne générale qu’est mon histoire tous les thèmes, tout ce que je veux montrer par l’image et par les sons. Elle porte tous ces thèmes, le plus intelligiblement possible sinon ça n’a aucun intérêt. J’essaie d’être le plus clair possible au montage.

- Et maintenant ?
GG – Je travaille sur l’adaptation du roman de Monique Lange, Cannibales en Sicile, avec Jeanne Moreau et Patrick Jouané. Comme je devais faire ce film, Jacqueline Baudrier a eu l’idée de me faire faire d’abord le portrait de Jeanne pour la télévision, pensant qu’ainsi elle accepterait, et ça a marché.