Guy Gilles   Cinéaste français (1938 - 1996)
Guy Gilles

" Dans tous ses films, qui sont des films d'amour et de tourment, les personnages luttent contre le mal de vivre, la fuite inexorable du temps, veulent faire de l'absolu avec de l'éphémère. Et même s'ils ne racontent pas la vie de Guy Gilles, ils sont autobiographiques; une suite de rencontres, les blessures inguérissables d'une passion récurrente. "

Jacques Siclier

Entretiens

Guy GILLES : "Je peins avec ma caméra"

Propos recueillis par Laure BRUCY (1972)


Avec Guy Gilles que nous accueillons aujourd'hui, nous étendons notre enquête sur les jeunes cinéastes. Le réalisateur du Clair de Terre, Grand Prix du Festival du Jeune Cinéma 70 que nos lecteurs ont pu voir à notre dernière projection, fait le point sur ses dix années d'expérience cinématographique.

Nathalie Delon et Patrick Penn dans "Absences répétées"

- Quels ont été vos premiers contacts avec le cinéma?
G.G. - Mes premiers contacts n'ont pas été ceux d'un cinéphile averti fréquentant la Cinémathèque - Alger, où je vivais à l'époque, n'en possédait pas - mais ceux d'un tout jeune spectateur qui aimait le cinéma comme un moyen d'évasion et de rêve, qui y entrevoyait comme une sorte de représentation de la vie sans être cependant la vie elle-même. J'ai d'ailleurs eu l'occasion de revoir par la suite beaucoup de ces films découverts dans ma jeunesse. Certains ont résisté à l'épreuve, d'autres au contraire me sont apparus franchement médiocres qui, pourtant, n'avaient pas manqué de troubler l'enfant que j'étais.

- Mais de l'enfant que vous étiez au cinéaste que vous êtes devenu, comment les choses se sont-elles passées ?
G.G. - Il y a eu, au départ, un petit combat car attiré par le cinéma, je l'étais aussi par les arts plastiques le dessin, la peinture - et également par l'écriture. Mais, en définitive, tout s'est décidé seul. En effet, tandis que je suivais les cours de l'Ecole des Beaux-Arts d'Alger, j'ai commencé à tourner, un court-métrage avec un matériel 16 mm fourni par un camarade.
Ayant entendu parler de Pierre Braunberger, j'ai alors écrit à ce dernier pour lui dire que je faisais ce film et, un beau jour, je suis arrivé à Paris avec ma valise, le désaccord de mes parents et ma bobine que je suis parvenu à montrer au producteur. A la fin de la projection, François Reichenbach, également présent dans la salle, a bien voulu dire de ce film encore inachevé " C'est un véritable poème ! " Sur ces entrefaits, Pierre Braunberger m'a donné la possibilité de le gonfler et d'en faire la bande-son. C'était Soleil éteint, le seul de mes courts-métrages jusqu'à présent à n'avoir pas été diffusé.
Immédiatement après, j'ai enchaîné avec un autre court-métrage : Au biseau des baisers, tourné en Algérie, en collaboration avec Marc Sator. De retour à Paris en 1960, j'ai alors cherché à travailler dans différentes branches cinématographiques pour tout connaître du mécanisme des films ; c'est ainsi que j'ai fait du montage, que j'ai été assistant opérateur, puis opérateur sur divers films de François Reichenbach jusqu'au jour où j'ai décidé de réaliser mon premier long métrage : L'Amour et la mer dont la production, après bien des aléas, fut assurée par M. Thébaud, propriétaire de la Salle Filmax. Lauréat du Prix de la Critique à Locarno et du Prix du Public à Pesaro, ce film n'est jamais sorti, mais il devait néanmoins me servir de carte de visite et m'ouvrir notamment les portes de l'ORTF.
Parallèlement, j'ai, à cette époque, fait une série de courts-métrages - persuadé que c'était là la meilleure école du long métrage - : Chanson de gestes, Un Dimanche à Aurillac (programmé avec Le Souffle au cœur), Le Jardin des Tuileries, distribué aujourd'hui avec La guerre d'Algérie, et Côté cours, côté champs, réalisé sur la demande de Claude Lelouch pour accompagner son film Le Voyou. Trois ans plus tard étant, enfin, parvenu à surmonter la déception de n'avoir pu sortir L'Amour à la mer, je me suis mis à écrire le scénario d'un nouveau long métrage : Au pan coupé.
C'était en 1965, date de ma rencontre avec un jeune acteur, Patrick Jouané, qui devait m'inspirer non seulement le sujet de ce film, mais bien d'autres encore. Officialisé grâce à la création par Macha Méril de la société de production " Macha Films ", ce second film, tourné selon des méthodes marginales qui sont les miennes, réussit à sortir mais, hélas, dans de très médiocres conditions. Outre de nouveaux courts-métrages et diverses réalisations pour l'ORTF., dont notamment une longue émission sur Proust intitulée : Proust, l'art et la douleur (toujours avec Patrick Jouané comme interprète) et programmée récemment à l'occasion du centenaire de la naissance de l'écrivain, je terminais alors l'écriture d'un troisième scénario qui devait être Le Clair de terre. Ayant obtenu une avance sur recettes, je fondais alors avec Jacques Portet, acteur que tentait la production, une société baptisée Albertine Films. C'est donc dans le cadre de cette production que fut réalisé ce film dont la carrière aurait été, me semble-t-il, bien meilleure s'il avait bénéficié de salles à audiences plus vastes que celles du Studio Git-le-Cœur où il tint l'affiche durant plusieurs semaines lors de sa sortie ou encore du cinéma Saint André des Arts où il a fait l'objet d'une reprise, il y a de cela quelques mois. Puis, enfin, ce fut le tour de Absences répétées dont je viens tout juste d'achever le tournage.

- Vous avez fait allusion à des méthodes de travail marginales ; quelles sont-elles ?
GG. - Je suis toujours mon propre cameraman et j'ai l'habitude de travailler en équipe réduite, composée souvent de techniciens polyvalents, ce qui permet d'appréciables gains de temps.

- Est-ce uniquement pour des raisons budgétaires que vous avez été amené à procéder ainsi ?
G.G. Les impératifs d'ordre budgétaire ont évidemment joué, dans ce sens, mais il n'en reste pas moins que si la possibilité m'est un jour offerte de faire des films avec des moyens plus importants, je souhaiterai garder le principe d'une équipe limitée au strict nécessaire. Je pense, en effet, que la constitution de trop vastes équipes entraîne souvent ce qu'on peut appeler la politique du parapluie, celle qui consiste à rejeter sur son voisin ses propres responsabilités. En revanche, je tâcherai de mettre à profit les ressources supplémentaires mises à ma disposition, pour tourner plus lentement, pour choisir les meilleurs décors possible, et même au besoin les reconstituer, pour soigner les costumes, etc...

- Mais tiendrez-vous toujours la caméra ?
G.G. - Toujours Je ne conçois pas qu'un réalisateur puisse agir autrement. Imagine-t-on un peintre qui demanderait à autrui de venir mettre sur sa toile telle ou telle touche de couleur ? Non, c'est le peintre qui peint. Or, avec une caméra, il s'agit aussi de peindre.

- Etant donné que vos devis sont généralement restreints, ne vous arrive-t-il pas de les dépasser avant la fin du film?
G.G. - Non, je les respecte d'autant plus facilement que c'est moi qui, la plupart du temps, les définis. Je sais très bien que les films à l'exemple de ceux que je fais actuellement, ne sont possibles qu'à la seule condition de ne pas coûter trop d'argent. Ainsi, Absences répétées, coproduit par la Guéville, les Films du Prisme et Gaumont, a coûté 100 millions A.F. dont 25 ont été fournis par l'avance sur recettes. J'ai d'ailleurs le net sentiment que le cinéma est de plus en plus appelé à s'orienter vers deux formes bien distinctes : films dits d'auteur, à budgets restreints, d'une part, et films à budgets traditionnels, d'autre part, réservés à des metteurs en scène parvenus à la maturité de leur expression.

- Le fait que votre long métrage actuel soit pris en distribution par Gaumont marque une nouvelle étape dans votre carrière ; comment vous y êtes-vous pris pour obtenir le concours de cette Société ?
G.G. - Hé bien, pour la première fois, renonçant à une attitude d'insolente rigueur qui jusqu'alors m'avait poussé à ne m'occuper de mes films que sur le plan écriture, préparation et production, j'ai poursuivi mon effort au-delà. Cinéaste débutant, je me disais qu'on ne pouvait pas à la fois faire des films et les vendre. Sans doute, ne peut-on effectivement faire les deux, mais on peut du moins faire des films et s'efforcer de les protéger. C'est ainsi que pour Absences répétées, je suis allé trouver Alain Poiré pour lui expliquer ce que j'entendais faire et ce qu'un ouvrage de cette sorte pouvait représenter dans la production française. Finalement, il m'a donné son accord avec beaucoup de spontanéité. Depuis, j'ai appris avec grand plaisir que Gaumont avait également pris en distribution le dernier film de Godard Tout va bien. C'est donc le signe d'un changement de politique de la part des grandes maisons de distribution.

Dans quel état d'esprit attendezvous la sortie de votre film?
G.G. - Je suis très enthousiaste et confiant en ce sens que je vois chez Gaumont les préparatifs qui sont mis en train en vue dc sa sortie prévue, en principe, pour septembre. On choisit déjà les photos d'exploitation, on parle déjà du caractère et de la couleur de ses affiches. I1 est évident que je n'ai jamais rien vu de semblable pour mes autres films. C'était alors le silence et l'anonymat.

- Y a-t-il entre vos deux jeunes héros mis en scène dans Le Clair de terre et Absences répétées une certaine parenté?
G.G. Patrick Jouané, je le répète, m'a inspiré au point de vue écriture pour beaucoup de mes films. François, le héros d' Absences répétées, ce garçon de 21 ans qui, comme l'a dit Bresson dans l'une de ses interviews, " fait le sacrifice de sa vie pour que le monde change ", se rapproche de lui, bien que divers autres modèles m'aient également servi à composer le personnage. Par contre, le héros du Clair de terre est davantage de mon propre côté. Dans ce film, on peut dire que Patrick a vraiment été mon porte-parole, au point même que certaines personnes ont été jusqu'à lui trouver une ressemblance physique avec moi.

- Comment concevez-vous vos rapports avec vos comédiens?
G.G. J'ai des rapports passionnels avec eux. Je choisis mes interprètes toujours longtemps à l'avance, au stade de l'écriture, même s'il m'arrive parfois, comme ce fut le cas, par exemple, pour Nathalie Delon ou Patrick Penn, le couple d' Absences répétées, de leur proposer le rôle peu de temps avant le tournage. J'ai besoin d'étudier, de connaître à fond leurs personnalités - au même titre d'ailleurs que la morphologie de leurs visages - pour façonner les personnages que je leur destine de façon à ce qu'ils correspondent à la fois à ma vision d'auteur et à leur propre nature.

- Vous avez eu pour Clair de terre une distribution importante et notamment la présence d'une très grande actrice : Edwige Feuillère. Comment s'est déroulée votre collaboration avec elle ?
GG. - Dans de merveilleuses conditions. Edwige Feuillère n'est pas seulement une très grande actrice ; c'est aussi une femme extraordinaire, pleine de tendresse humaine et de charme. Je savais qu'elle avait vu Au pan coupé, qu'elle avait aimé le film, et plus encore qu'elle l'avait compris. Je lui ai donc remis le script du Clair de terre. Dès le lendemain, elle savait déjà, par exemple, que Madame Larivière - nom du personnage que je souhaitais lui voir jouer - pouvait porter un peignoir à pois blancs. À ce simple détail, j'ai compris qu'elle savait ce que je voulais.

- Quel sera votre prochain film?
GG. - " Une Femme fatale " avec Jeanne Moreau. Le scénario est prêt. Je compte entreprendre le tournage à la rentrée.

- Voulez-vous, pour conclure notre entretien, évoquer une question qui vous tienne à cœur ?
G.G. - Dans ce cas, j'aimerais faire allusion à la critique cinématographique qui ne me semble pas toujours très bien faite actuellement. En effet, trop de critiques sont ce que j'appelle des « critiques d'humeur ». Je pense que le travail de ces journalistes devrait consister à informer davantage les lecteurs sur le sujet, le caractère, des films et non pas se borner à accumuler des superlatifs du type " le plus beau film du monde, le cinéaste le plus extraordinaire, l'ouvrage le plus bouleversant, etc. ", autant de mots éculés à force d'avoir été répétés et appliqués à des œuvres les plus diverses. Bref, je souhaiterais que les critiques - qui, personnellement, je tiens à le préciser au passage, m'ont toujours gâté - fassent preuve de plus de modération, de plus d'objectivité et d'un plus grand souci d'information, au sens profond du terme.