Guy Gilles   Cinéaste français (1938 - 1996)
Guy Gilles

" De la place de l'Europe partaient encore d'autres rues qui promettaient des voyages. On pouvait faire le tour du monde avec le nom de tous ces pays et de toutes ces villes. Souvent, des promeneurs désœuvrés s'arrêtaient à la grille qui donnait sur la voie ferrée. Un enfant rêveur comptait les trains qui passent. "

 

Guy Gilles, extrait de L'été recule, roman (inédit).

Témoignages

Souvenirs du tournage d'Au Biseau des Baisers, par Madeleine Serra

 

 

LA RENCONTRE

Vous savez j’avais 17 ans quand j’ai tourné le film... et maintenant, vous inversez les chiffres, j’en ai 71 ! Mais je me souviens bien. J’étais petit rat à l’Opéra d’Alger et je suivais parallèlement des cours au Conservatoire. Guy cherchait une danseuse brune aux yeux verts, je correspondais. J’étais connue comme le loup blanc à l’époque à Alger, parce qu’outre l’Opéra, je faisais aussi de la télévision. Guy m’a donc contactée... et j’ai fait la connaissance d’un garçon charmant, beau comme un Dieu, séducteur comme pas possible, sensuel : il avait tout pour lui. Il rayonnait. Il n’avait pas de tabou particulier, il aimait tout ce qui était beau. C’était un astre vivant. Tout le monde tombait amoureux de lui quand on le rencontrait.

LES LIEUX

On a tourné durant l’été 1959, en muet, par petits bouts, sur les hauteurs d’Alger, dans la Casbah, ou à la pointe Pescade, où je danse dans la scène d’ouverture. Tout le final est dans les ruines de Tipaza : on a souffert l’enfer car on était pieds nus, les rochers étaient pointus et on était envahi par les moustiques. C’était infernal... mais ça ne se voit pas du tout à l’écran ! À Sidi Ferruch, on a découvert ces viviers de moules : les gens venaient là en famille, tiraient des paniers de moules qu’ils dégustaient crues, sur place, avec une bouteille de vin blanc. Et au port de la Madrague, c’est la scène avec Alain Stéphane où je commande une pizza. Dans la scène du dancing, la chanteuse est interrompue par un autre garçon, Fritz Heise, qui est mort dans un attentat peu de temps après le tournage.

MISE EN SCÈNE

Il n’y avait pas de scénario précis : quand j’ai rencontré Guy, il m’a dit ça s’appellera Au Biseau des Baisers, et pour l’histoire, tu verras au fur et à mesure. Mais quand Guy venait me chercher sur le tournage, tout était prêt. On n’a jamais fait 50.000 prises, tout était préparé au cordeau. Il y aurait eu un côté amateur ou déconnant, je ne serais pas restée. Surtout que c’était bénévole : il n’y avait pas d’argent, Guy avait été clair là-dessus dès le départ. Mais c’était aussi bon enfant : entre Marc Sator et Guy Gilles, aucun n’avait de pouvoir sur l’autre. On était tous égaux, comme si on avait joué dans une cour de récréation. D’ailleurs on le sent dans le film : c’est serein. Pour moi les extérieurs, c’était quelque chose qui me changeait de l’Opéra ou des plateaux de télévision. J’étais une éponge, je me laissais guider, comme mon partenaire Alain Gual, qui lui n’avait jamais fait l’acteur auparavant. Y’avait pas de stress. Guy était tellement charmant, il pouvait vous balancer des horreurs sur ce qui ne lui plaisait pas, ça passait !

À PARIS

J’ai quitté l’Algérie en 1961, pour aller travailler au Châtelet. Là j’ai retrouvé des gens qui m’ont donné le téléphone de Guy, il m’a aussitôt organisé une projection sur les Champs-Elysées : il avait fait la post-production sans moi, n’ayant plus mes coordonnées. Quand j’ai vu le résultat j’ai été surprise par la quantité de texte, et puis c’est Marie Dubois qui fait ma voix : son phrasé n’est pas tout à fait le mien, plus académique. Mais au fond je ne savais pas ce que Guy voulait faire : j’étais la marionnette qu’on a manipulé. Et j’ai été très agréablement surprise, émerveillée par la couleurs, la beauté, ces couleurs que j’avais quittées. Jean-Pierre Melville a vu le film, qu’il a beaucoup aimé, et il a voulu me rencontrer. On a fait des photos pour un film, qui ne s’est pas concrétisé. Après j’ai tourné une page professionnellement. J’ai été terriblement triste quand j’ai appris la maladie de Guy. Mon partenaire à l’Opéra est lui aussi mort du sida, et j’ai donné trois ans de ma vie en travaillant pour l’antenne locale d’Aides, ici (en Alsace).

Propos recueillis par Gaël Lépingle en mars 2013