Guy Gilles   Cinéaste français (1938 - 1996)
Guy Gilles

" Il faut apprendre à renoncer.
Mais, j’ai compris, vivre ce n’est pas se souvenir d’une ville, d’un instant, d’un visage, même si c’étaient les plus beaux du monde.
Pour continuer, il faut apprendre à oublier. "

 

Soleil Eteint

Patrick Jouané ou l’éternel départ


Propos recueillis par Alya Bouadibah (1969)

Très jeune, mince, doux, rêveur, Patrick Jouané incarne à la perfection ces héros favoris de Guy Gilles, éphèbes immatériels, refusant les contingences de la vie, faits de liberté, d’intransigeance et d’inconscience.
Parce qu’il était ce personnage, ou parce que ce personnage a déteint sur lui, parce que l’un reflétait l’autre et que l’autre se retrouvait dans l’un, Patrick Jouané est désormais l’acteur vedette de Guy Gilles, l’un des plus prometteurs des jeunes cinéastes français actuels. Il a débuté avec lui dans L’amour à la mer, interprète son premier rôle principal dans Au pan coupé et achève le triple volet avec Le clair de terre.
Une fois encore il a recréé à l’écran ce personnage éthéré, en éternelle partance, pour qui chaque départ est un nouveau refus de la réalité.

- Patrick Jouané, qui est Pierre, ce personnage que vous incarnez dans Le clair de terre ? Quelle est votre façon d’appréhender ce rôle ?
Pierre est un jeune homme qui a passé son enfance en Tunisie. L’ayant quitté très jeune, il habite Paris où il mène une vie très désorganisée. Une seule aspiration : partir. N’importe où, n’importe comment. Il choisit la Tunisie dont les souvenirs ont bercé son enfance. Là, une dame qui a connu sa mère – madame Larivière – lui sert de guide sentimental. Elle lui parle de sa mère, lui montre les endroits où elle a vécu, qu’elle a aimé, lui apprend à regarder le monde.
J’ai suivi de très près l’élaboration de la création, la mise en forme de ce personnage. Guy Gilles écrivait son scénario et me donnait au fur et à mesure mon rôle à apprendre. C’est ainsi que j’ai pu parfaitement le posséder, le laissant grandir en moi, mûrir, m’accaparer.

- Après cette longue expérience en commun, cette espèce de genèse à deux, retrouvez-vous des points communs entre ce personnage et vous ?
Partir, se souvenir, oublier. Ce sont trois mots-clé de la vie de Pierre et de la mienne, les fondements de notre double et unique personnalité. Conserver un certain optimisme malgré tout, essayer de ne pas être triste, de surmonter un penchant naturel vers la mélancolie, de vivre et non de se laisser vivre.

- Vous travaillez depuis longtemps déjà avec Guy Gilles. Pouvez-vous nous parler de lui en tant que metteur en scène ?
Guy Gilles est un metteur en scène extrêmement exigeant. Il travaille de façon très minutieuse, ne laissant passer aucun détail. Mais ayant beaucoup travaillé avec lui, je sais exactement ce qu’il demande à l’intérieur même de son carcan d’exigences, je suis donc libre parce que je sais les prévoir. Et c’est pour cela que je ne pourrai jamais travailler avec un metteur en scène que je ne connais pas, être « l’unité de la dernière heure ».
On pourra objecter qu’il est dangereux pour un jeune acteur de toujours jouer avec le metteur en scène de ses débuts. On risque d’être déformé par ses habitudes, ses goûts, ses techniques. Mais il me semble qu’il me suffira de discuter. Car tout se fait au niveau de la parole – et cela pendant quatre ou cinq jours avec un metteur en scène pour comprendre ce qu’il veut, ce qu’il demande.

- C’est la première fois que vous jouez avec Edwige Feuillère. N’est-il pas impressionnant pour un jeune acteur d’être confronté à une grande dame de cinéma ?
C’est une grande dame, mais dans le bon sens du terme, sans ce que l’expression comporte de hautain. Il est effectivement très impressionnant de partager une tête d’affiche avec Edwige Feuillère. C’est une personne extraordinaire, toute en finesse, sensibilité, intelligence. Plus le film progressait et plus elle croyait à son personnage. Et je l’ai souvent vue émue à la fin d’une séquence.

- Un dernier mot : qu’a représenté pour vous votre expérience tunisienne ?
C’est un pays merveilleux. Tout le monde l’a dit. Mais c’est surtout un pays où l’on peut se concentrer, se rassembler, regrouper ses idées, ses impressions, ses sentiments, en un mot se sentir vivre, être entier.

Tiré d’un quotidien tunisien non identifié.